Avec la montée fulgurante des contenus créés par les internautes eux-mêmes, et la montée parallèle du piratage, il semble de plus en plus évident qu’une opposition frontale se dessine entre les droits du public et les droits des créateurs professionnels. Droit d’auteur contre respect de la vie privée des internautes est l’un des chapitres de cette opposition, auquel la justice européenne vient d’ajouter un paragraphe essentiel. Mardi, les juges de Luxembourg ont en effet arbitré que « le droit communautaire n’impose pas aux Etats membres l’obligation, en vue d’assurer la protection effective du droit d’auteur, de divulguer des données à caractère personnel dans le cadre d’une procédure civile« .
Le tribunal de prononçait sur demande de la justice espagnole dans le cadre d’un conflit entre la société d’éditeurs espagnole Promusicae (membre de l’IFPI) et le fournisseur d’accès à Internet Telefonica. Les producteurs de disques avaient exigé du FAI qu’il livre dans le cadre d’une procédure civile les noms et adresses de ses abonnés suspectés d’avoir illégalement utilisé le logiciel d’échange de fichiers Kazaa. Promusicae ne disposait alors que des adresses IP, et demandait au tribunal d’ordonner à Telefonica de livrer l’identité des abonnés correspondants. Or la loi espagnole ne prévoit explicitement ce cas que dans le cadre des enquêtes pénales, et dans les affaires liées à la sécurité publique ou à la défense nationale. Telefonica estimait donc que la loi espagnole ne l’obligeait pas à livrer les informations confidentielles de ses clients, et dans le doute au regard des directives européennes, le juge espagnol a saisi la Cour européenne de Justice afin qu’elle rende son arbitrage.
La Cour a ainsi donné raison mardi au fournisseur d’accès, en précisant toutefois qu’il appartient à chacun des Etats membres de l’Union européenne d’assurer « un juste équilibre entre les différents droits fondamentaux« , c’est-à-dire notamment entre le droit à la propriété (le droit d’auteur) et le droit à la vie privée (la confidentialité des abonnés masqués derrière des adresses IP). La formulation peut être interprétée comme une victoire des deux côtés, puisqu’elle indique qu’aucun des deux droits ne doit être bafoué au nom du second. L’IFPI, qui représente l’industrie musicale, et la MPA, qui représente le cinéma, se sont donc félicités de cette précision. Elle donne pourtant son blanc seing à l’Espagne pour garder son régime déjà favorable aux P2Pistes.
Encore faut-il voir, également, comment cet équilibre peut être trouvé en pratique. C’est l’un des défis auquel devra répondre le législateur français lorsqu’il sera amené à mettre en œuvre les solutions préconisées par la mission Olivennes en matière de lutte contre le téléchargement illégal. Est-il vraiment équilibré de procéder à des contrôles automatiques sans appel possible, et de ficher les internautes récidivistes pour leur interdire l’abonnement à internet ?
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