Pressée par la Fédération Internationale de l’Industrie Phonographique et par les lobbys du cinéma, la mission anti-piratage de Denis Olivennes a remis au goût du jour la question du filtrage du P2P. Aux USA, un chercheur californien propose de faire collaborer FAI et industries culturelles pour bloquer au plus vite les diffusions de fichiers piratés sur les réseaux P2P. Une idée à suivre ?

Il existe plusieurs manières d’aborder la question du piratage. Il y a d’abord le laisser-faire sollicité par les plus extrémistes des opposants au droit d’auteur, ou par ceux qui misent uniquement sur les solutions du marché pour concurrencer le P2P. Il y a ensuite la répression, dont on a vu depuis plusieurs années qu’elle donne comme unique résultat d’accroître le mépris à l’encontre de l’industrie culturelle, et d’abattre le respect entre les créateurs et le public, essentiel à toute relation commerciale. Il y a enfin la solution du filtrage, préconisée en France par la mission Olivennes. Plusieurs solutions ont été proposées, qui obligent à une inspection des paquets échangés au niveau du FAI ou de l’abonné, voire même de bloquer les sites de liens les plus populaires… Mais voici une nouvelle idée qui pourrait être relativement simple à mettre en place.

Sur son blog, Nicholas Weaver, chercheur en sécurité informatique de l’Institut International des Sciences Informatiques de Berkley en Californie, propose de donner aux ayant droits la possibilité d’envoyer directement aux routeurs des FAI une liste d’adresses IP à bloquer immédiatement pour mettre fin à l’échange de fichiers piratés sur des réseaux P2P. Le principe de ce filtrage semi-automatique est relativement simple sur le papier.

En effet, lorsqu’un fichier apparaît par exemple sur un site de liens BitTorrent, il y a au tout départ un seul utilisateur (ou serveur) connu à posséder le fichier et à être en capacité de le partager : celui qui l’a indexé. Les internautes intéressés viennent alors télécharger le fichier .torrent et reçoivent du tracker une liste d’adresses IP d’internautes qui ont eux aussi commencé à télécharger le fichier partagé, et avec qui ils peuvent en échanger des « morceaux » différents pour le propager plus rapidement (principe du swarming). De nouvelles générations de clients BitTorrent permettent également d’obtenir d’autres listes d’internautes qui possèdent le fichier, grâce à un échange de sources appelé DHT (Distributed Hash Table). De ce fait, même en supprimant le fichier indexé sur les trackers comme ThePirateBay ou Mininova, les fichiers restent accessibles grâce à cette couche décentralisée. Le principe est sensiblement le même avec eMule et ses réseaux eDonkey (centralisé) et décentralisé (Kad), qui permet ainsi aux internautes de s’échanger rapidement l’ensemble des morceaux de fichiers qui, mis bout à bout, constituent l’ensemble du film, de l’album ou du logiciel recherché.

L’idée de Weaver, qui n’est pas nouvelle sous cet aspect, est donc d’abord de créer un robot qui parcourt les sites de liens et se fait passer pour un internaute qui veut télécharger le fichier pour obtenir grâce aux DHT l’adresse IP de l’ensemble des internautes qui téléchargent et partagent le fichier suspect. Il suffirait alors de commencer le téléchargement de quelques morceaux pour vérifier qu’il s’agit bien d’un fichier contrefait, puis d’agir le plus rapidement possible pour empêcher la distribution de l’ensemble des morceaux. C’est là que l’originalité de l’idée de Weaver intervient. Le chercheur propose que les ayants droits puissent envoyer directement aux FAI « la carte des adresses IP » pour qu’ils bloquent automatiquement, dans l’heure et cependant temporairement les échanges entre les adresses IP des internautes qui figurent dans cette liste des contrefacteurs présumés. Tous ceux qui n’ont pas fini le téléchargement seraient ainsi bloqués et écartés des DHT.

Pour assurer une telle rapidité, il faudrait que les FAI acceptent de mettre en place un système de traitement automatisé sur la base d’un standard commun, ce qu’ils pourraient faire au prétexte de la lutte contre le piratage, mais en réalité au nom d’une gestion plus économique de leur bande passante. Le fournisseur d’accès américain AT&T, qui réfléchit aux méthodes de collaboration avec les industries culturelles, indique par exemple que 5 % de ses abonnés utilisent 50 % de la bande passante, à cause des échanges en P2P. Tous les FAI connaissent des chiffres similaires. Or le respect du principe de la neutralité du transporteur les empêchent d’agir pour filtrer l’ensemble de ces échanges, sans distinction du contenu, et inspecter le contenu est à la fois très coûteux et juridiquement sensible.

Avec la méthode de Weaver, la charge financière de la vérification du contenu serait déchargée sur les ayant droits, seuls les contenus piratés seraient bloqués, et en cas d’erreur sur ce point, c’est la responsabilité juridique des ayant droits qui serait engagée. De plus, le processus étant automatisé, les adresses IP n’ont pas besoin d’être révélées, ce qui pourrait faciliter l’acception au regard du respect de la vie privée.

Reste que ces mesures conservatoires automatisées, si elles faisaient leur chemin jusqu’en France, pourraient soulever elles-aussi des critiques. Qui vérifie la sincérité des contrôles effectués par les ayant droits ? Comment, le cas échéant, être informé et se défendre d’une erreur ? Comment rendre ces mesures compatibles avec l’exercice de différentes exceptions au droit d’auteur ? La justice automatisée par la technique est une facilité tentante, mais qui peut être diabolique. S’agit-il d’une solution qui aurait pour autant la faveur des internautes par rapport aux suspensions des abonnements à Internet souhaités par la mission Olivennes ? Faites-nous part de votre avis dans les commentaires.

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