Bien avant l’avènement du peer-to-peer est née une bataille de principe menée par l’industrie du disque : celle du sampling. A partir du moment où le hip hop – qui en fait une utilisation massive – commença à générer des revenus significatifs, cette pratique faisant d’échantillons de morceaux une matière première devint sujette à polémique. Aujourd’hui, tout le monde sait qu’un extrait d’enregistrement doit avoir l’aval de son producteur pour être utilisé par un artiste (à moins que la licence l’autorise d’office), bien que ceux-ci ne cessent de décrier ce qu’ils considèrent comme un abus de propriété handicapant la création. Si Internet n’a pas fait avancer la question d’un point de vue juridique, il n’en a pas moins apporté deux nouveaux éléments essentiels : l’accès facilité aux a cappella, et la gratuité comme possibilité de résoudre les conflits entre ayants droit et artistes. Explications.
Sur l’a cappella
L’a cappella est par définition un chant exécuté sans accompagnement. Pour obtenir l’a cappella d’un morceau, il n’y a pas 36 manières. Soit son producteur vous a commandé un remix et vous envoie les « bandes » du morceau, c’est à dire les différentes parties séparées de son enregistrement. Soit vous en avez fait la demande et ce dernier, par miracle, vous envoie ces éléments et vous autorise à les utiliser. Mais la magie du peer-to-peer en a décidé autrement. Il n’est pas rare de trouver sur les réseaux de partage de fichiers les parties a capella de célèbres titres. Ces « fuites » permettent à n’importe quel artiste de s’amuser à remixer un morceau sans avoir l’autorisation de son producteur. Il dispose de la voix, il n’a qu’à créer la partie instrumentale.
C’est ce qu’a fait le californien Kraddy avec « The Illegal Album« , une compilation de titres issus des répertoires de Kayne West, Dr Dre, Snoop Dog, Eminem, Capleton, et remixés de telle manière qu’ils n’ont plus grand chose à voir avec les originaux, si ce n’est qu’on peut encore y reconnaître le flow des célèbres rappeurs. « La plupart des a capellas ont été téléchargés à partir de sites de partage de fichiers mais toute la musique a été créée par moi » nous explique Kraddy. « J’ai pris le travail d’un artiste et l’ai fusionné au mien, afin de créer quelque chose de complètement neuf. C’est une façon de rafraîchir des morceaux classiques et je ne pense pas du tout que ça dessert les originaux. »
Autant le dire tout de suite, si Kraddy avait dû demander aux producteurs les autorisations pour effectuer ses remixes, c’est une porte à laquelle il aurait eu à faire face, ou un agent lui réclamant des droits de licence exorbitants. « La principale raison pour laquelle je l’ai appelé The Illegal Album était d’attirer l’attention sur le débat actuel concernant le dépôt de musique et le partage de fichiers. Les maisons de disque et éditeurs ont poussé la notion de « propriété » à un niveau absurde. Ces sociétés veulent pouvoir réclamer la possession d’un morceau de musique car, dans leur étroitesse d’esprit, c’est le seul moyen de protéger ce qu’ils y ont investi. Au final, ce verrouillage des licences ne sert personne. »
« Je n’essaie pas de faire passer mon remix de Forgot About Dr Dre pour l’orignal » continue Kraddy, « pas plus que je pense que mes morceaux font perdre des ventes à l’original ou embrouillent le consommateur. Et je ne pense pas qu’il y ait aucune raison pour laquelle ça devrait être illégal. Mais ça l’est, et pour que ça soit clair et net pour tout le monde, je l’ai appelé « The Illegal Album ». »
En juste retour des choses, Kraddy propose pour l’achat de son album les différentes parties instrumentales qu’il a crée, au format AIF, afin que chacun puisse à son tour réutiliser son travail. « Je pense qu’il serait hypocrite de voler de la musique, la vendre et ne rien donner en retour. Je veux encourager tous les autres musiciens à utiliser ma musique dans leurs compositions. Et si ils le font, j’en serai très flatté. »
Sur la gratuité
Mais les artistes ne sont pas toujours dans le cas de Kraddy. Le producteur de Dj Shadow a ainsi consenti en 1996 à s’acquitter de tous les droits d’utilisation des samples utilisés sur Endtroducing, une initiative qui se révéla payante puisque l’album eut un retentissement phénoménal. Dj Danger Mouse, avec son Grey Album, n’a pas eu cette chance. Cet album invitait le rappeur Jaz-Z à poser son flow sur des samples tirés des morceaux des Beatles. En conflit avec EMI, il reçut ce que l’on appelle une injonction « cease and desist », l’obligeant à renoncer à l’utilisation des samples. Dj Danger Mouse décida malgré tout de le diffuser gratuitement sur Internet… et l’album lui conféra une renommée internationale.
Plus proche de nous, l’histoire d’Amplive avec son Rainydayz. Cet album consiste en une compilation de remixes du dernier In Rainbows de Radiohead, avec quelques prestigieux invités comme Chali 2na, rappeur de Jurassic 5 ou Del tha Funkee Homosapien, connu pour son travail avec Gorillaz. Lorsque Radiohead (ou ses représentants) ont découvert l’album, ils ont envoyé à Amplive ce fameux « cease and desist » mais le mal était fait. Suite au retrait de l’album, les internautes se sont mobilisés demandant le retour de Rainydayz, et ont eu gain de cause.
« Même si le producteur d’Oalkland reconnaît qu’il aurait dû contacter Radiohead (qui ne furent pas impliqués dans le projet) pour obtenir leur approbation avant de diffuser ses interprétations, un accord a été conclu entre les parties impliquées et Amplive a obtenu la permission d’offrir Rainydays Remixes gratuitement au public. » Il est certain que la vindicte populaire a dû avoir son poids dans l’histoire. Mais est-ce que sans elle Amplive aurait eu l’autorisation ou même une réponse de la part de Radiohead pour remixer son album ? Rien n’est moins sûr.
« Je comprend que les gens ne veulent pas voir leur musique volée » explique Kraddy, « mais tous les musiciens (et les artistes de n’importe quelle forme) empruntent et sont influencés par la musique qu’ils écoutent. La musique qui « vole » les éléments d’anciens morceaux entraîne très souvent un regain d’intérêt pour ces créations en offrant une nouvelle perspective. Voilà comment l’art est crée et c’est à mon avis sa plus belle force. »
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