Les orages grondent au dessus de la taxe pour copie privée. Les industriels ont claqué la porte de la Commission, les consommateurs ne perçoivent plus de légitimité à cet impôt qu’ils payent au bénéfice d’acteurs privés, et les bénéficiaires se contentent d’en demander toujours plus sans ouvrir de débat sur le fond. Si un conflit avait déjà éclaté avec les industriels en 2005, celui-ci pourrait bien être beaucoup plus profond et durable… jusqu’à l’éclatement total de la taxe ?

Sorecop et Copie France, les deux organisations qui collectent la rémunération pour copie privée pour le bénéfice des professionnels de la musique et du cinéma, ont réagi mardi à l’incident diplomatique qui entache la commission d’Albis, chargée de déterminer l’assiette et le montant de la taxe payée par les consommateurs. Pour rappel, le collège des industriels redevables de la taxe ont décidé lundi de claquer la porte pour manifester leur désaccord avec un fonctionnement de la commission qu’ils estiment non équilibré, et peu crédible dans ses décisions. Les deux sociétés rappellent que cette « politique de la chaise vide » a déjà été employée en 2005 par les industriels pour faire pression sur le débat européen qui s’ouvrait alors sur l’avenir de la copie privée. Ils estiment que cette nouvelle crise trois ans plus tard n’est pas indifférente au fait que le Commissaire Européen en charge du Marché Intérieur, Charlie McCreevy, rouvre au même moment le dossier de la rémunération pour copie privée en Europe. Le fondement de la crise serait donc un calcul purement politique.

La Sorecop et Copie France indiquent par ailleurs que le point de rupture a porté sur les « baladeurs téléphoniques », dont les caractéristiques techniques, indépendamment des fonctionnalités téléphiques, permettent de les considérer comme des baladeurs MP3 et/ou vidéo. L’iPhone est le principal visé. Ils assurent en revanche que l’assujettissement des smartphones « ne sera éventuellement décidé par la Commission qu’au vu des résultats d’une étude commandée par elle pour déterminer dans quelle mesure ces appareils sont effectivement utilisés à des fins de copie privée ».

Encore une fois, la Sorecop et Copie France feignent donc d’ignorer le noeud du problème. Le débat n’est pas tant d’étudier dans leur volumétrie les pratiques de copie privée que d’en étudier les sources. Les copies privées que la rémunération entend compenser sont-elles réalisées grâce aux réseaux P2P, newsgroups et autres sites de téléchargements illicites, et dans quelle mesure ? Plus la dose est forte, plus la taxe pour copie est illégitime et doit diminuer, puisqu’on ne peut taxer une pratique jugée illicite qui est condamnable et condamnée. C’est soit l’un, soit l’autre. Taxer ou légaliser, on ne peut choisir. C’est un principe du droit sur lequel la Commission ne peut marcher.

Courir tant qu’on peut vers plus de taxation, jusqu’à mourir d’essoufflement

On sourit, d’ailleurs, en lisant que « cette Commission a toujours travaillé dans des conditions sérieuses, précises et approfondies, en se servant lorsque nécessaire d’enquêtes et d’études d’usage pour étayer ses décisions dont, jusqu’à présent, la régularité a toujours été confirmée ». Pourquoi préciser « lorsque nécessaire » ? C’est un aveu que la pratique n’est pas systématique, alors qu’elle est évidemment toujours nécessaire. Imagine-t-on qu’une décision de la Commission qui touche directement le pouvoir d’achat des concitoyens puisse se prendre sans qu’il soit jugé nécessaire de l’étayer sur des études sérieuses ? Ce serait la preuve d’une commission arbitraire et scandaleuse.

En réalité, c’est cette peur d’affronter le paradoxe de la taxation et de la répression qui grève le nombre, la qualité, l’exhaustivité et la publicité des études commandées. C’est ce débat-là de la légitimité de la taxe et de son articulation avec la réalité de la copie privée que le Gouvernement se doit d’ouvrir. Il est essentiel à la survie-même de la taxe pour copie privée. Internet et le numérique ont changé la donne, et l’on feigne de faire comme si les copies privées taxées étaient encore celles que l’on réalise de la main à la main, pour soi-même ou entre amis. On feigne de ne pas voir que la copie privée c’est le piratage, ou plutôt que le piratage qui est réprimé est la copie privée qui est taxée. Pourquoi ? Parce que l’on redoute comme la peste que la boîte de Pandore soit ouverte et qu’éclate enfin ce débat essentiel qu’est celui de la licence globale, seule voie de conciliation possible entre la taxe et les pratiques qu’elle entend compenser.

Ils tirent alors de toute leur force sur la corde en espérant la renouer à chaque fois qu’elle cède, comme cette semaine. Mais combien de fois encore ? Plutôt que de calmer les esprits, Sorecop et Copie France espèrent bien faire passer en force l’extension de la taxe aux iPhone et autres « baladeurs téléphoniques » qui a fait exploser leurs interlocuteurs. Elles rappellent ainsi qu’à défaut de quorum lors de la prochaine réunion du 19 février, le vote pourra cette fois être entériné sans la présence des fabricants de téléphones. Une telle décision ne serait pas innocente et ne serait pas, sous le regard passif du Président de Commission Tristan d’Albis, le signe d’un grand calme et d’une volonté d’apaisement et de diplomatie.

Il arrivera forcément un jour où la corde ne pourra plus être renouée. En attendant, les consommateurs ont déjà conquis le marché gris, au plus grand bonheur des revendeurs Allemands, britanniques ou luxembourgeois.

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