Le projet de loi Olivennes (du nom du président de la FNAC et de son rapport sur la lutte contre le téléchargement illégal) est dans les tuyaux du gouvernement. Il devrait être présenté au début de l’été au Parlement, pour une adoption discrète pendant que les Français baignent au soleil. Tactique connue et éprouvée. La loi doit instaurer la « Haute Autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur Internet« , qui remplacera l’Autorité de régulation des mesures techniques créée par la loi DADVSI, et qui sera dotée de nouveaux pouvoirs. Elle sera composée d’un collège et d’une commission de protection des droits. Chargée de missions de protection des œuvres, d’observation de l’offre légale et de l’utilisation illicite des œuvres, et d’une mission générale de régulation et de veille dans le domaine des mesures techniques (DRM), la Haute Autorité doit notamment mettre en œuvre la riposte graduée nouvelle formule (voir encadré en fin d’article).
Pour les DRM, il ne faudra pas s’attendre à grand chose. L’avant projet de loi dont Numerama a eu connaissance n’ajoute rien au dispositif en place, et confirme au contraire qu’il sera impossible en pratique de faire respecter l’interopérabilité, ou de faire respecter la libre concurrence entre le logiciel libre et les logiciels propriétaires. Le bénéfice des exceptions (telles que la copie privée) est écarté en matière de services de musique ou de vidéo à la demande, c’est-à-dire pour l’essentiel des accès aux œuvres en ligne, et pour tous les accès qui porteraient atteinte aux intérêts légitimes des ayant droits. Autant dire que sauf à être expert en analyse économique, personne ne pourra se prévaloir avec certitude d’un droit à la copie privée. De plus, pour les professionnels qui souhaiteraient voir la Haute Autorité agir pour faciliter l’interopérabilité de leurs solutions avec celles des géants du secteur, la tâche sera rude. La Haute Autorité ne pourra pas aller contre « le respect des droits des parties », donc contre les brevets et droits d’auteurs des fabricants de DRM. Rien de neuf sur ce point, on ne s’attendait pas à une révolution. L’interopérabilité viendra de l’abandon volontaire des DRM, qui a commencé avec la musique en ligne, ou ne viendra pas.
En revanche, le volet répressif de l’avant-projet de loi promet de faire débat et de soulever quelques cheveux sur la tête. Il est en effet prévu dans le brouillon gouvernemental que « la commission de protection des droits dispose d’agents publics, désignés par arrêté conjoint des ministres chargés de l’économie et des finances, des communications électroniques et de la culture », qui pourront, « pour les nécessités de la procédure, « se faire communiquer […] y compris les données conservées et traitées par les opérateurs de télécommunications […] et en obtenir la copie ». En clair, des agents de l’Etat chargés de traiter les dossiers de plainte pourront obtenir l’identité des internautes suspectés de contrefaçon sans passer par la voie judiciaire jusque là obligatoire. Les dérives sont immédiatement imaginables, puisqu’il suffira de déposer une plainte même fumeuse en contrefaçon pour que l’Etat obtienne sans contrôle du juge l’identité d’un internaute, sans d’ailleurs que celui-ci n’en soit informé. Malaise. De plus, la question de la présence ou non d’un membre de la CNIL dans le collège de la Haute Autorité est toujours en débat, signe que sa présence pourrait gêner le travail de la Haute Autorité.
Par ailleurs, le déséquilibre semble criant dans la procédure de la riposte graduée, puisque si les internautes peuvent présenter leurs observations et demander une audition pour se défendre, « la commission n’est pas tenue de satisfaire les demandes d’audition abusives, notamment par leur nombre, leur caractère répétitif ou systématique ». C’est une traduction de la présomption de culpabilité. Tout le monde est coupable par défaut, et si tout le monde se dit innocent, on refusera d’entendre. Et qui jugera du caractère ou non abusif des demandes ? Heureusement, l’internaute qui se sent lésé pourra toutefois introduire un recours suspensif devant la juridiction administrative, qui disposera de deux mois pour rendre sa décision, mais sans grande chance de succès. Il devra en effet parvenir à prouver l’improuvable, en démontrant par exemple que son accès à Internet a été piraté (ce qui n’est pas compliqué par le Wifi), ou qu’il avait bien installé les outils de protection fournis par son FAI lorsque l’infraction constatée a eu lieu. En pratique, ce sera impossible.
Enfin, la question largement posée du paiement de l’accès à Internet ou des frais de résiliation en cas de suspension de l’abonnement a été tranchée. L’avant-projet de loi dispose explicitement que « la suspension de l’accès à Internet ne donne pas lieu à la suspension du versement de son prix au fournisseur du service », et que « les frais de résiliation sont supportés par le titulaire de l’accès ». Donc pour le bon père de famille ignorant des nouvelles technologies, non seulement son accès sera rompu, non seulement il ne saura ou ne pourra pas se défendre, mais en plus il devra payer. Et avec le sourire, s’il vous plait, pour le tableau de chasse de l’industrie culturelle.
La riposte graduée en 3 détentes L’avant-projet de loi explicite les mesures de la riposte graduée remise au goût du jour par la mission Olivennes après sa censure par le Conseil constitutionnel. Pour éviter un nouvel écueil, il n’est plus question de réprimer le téléchargement illicite, mais le fait de ne pas avoir protégé efficacement son accès à Internet pour éviter que l’accès ne soit utilisé pour le téléchargement. Subtile et pervers, mais sans doute suffisant pour passer la censure. Les trois détentes de la riposte graduée sont détaillées : 1° L’envoi au titulaire de l’accès d’un courrier électronique constatant le manquement à l’obligation [de sécurisation de l’accès à Internet], lui enjoignant de respecter cette obligation et l’avertissant des sanctions encourues en cas de renouvellement du manquement ;
2° En cas de renouvellement du manquement dans un délai de six mois à compter de la réception, pour la seconde fois, de l’avertissement prévu au 1°, la suspension de l’accès au service pour une durée d’un mois ; 3° En cas de renouvellement du manquement dans un délai de six mois à compter de la notification de la suspension prévue au 2°, la résiliation du contrat d’accès au service. Cette résiliation est assortie de l’impossibilité, pour l’abonné, de souscrire un nouveau contrat pendant une durée d’un an à compter de sa notification. Un fichier national des abonnés sera créé, s’il est validé par la CNIL, pour permettre au FAI de consulter la liste des abonnés blacklistés. |
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