Après quelques deux années de grande accalmie, le Peer-to-Peer est-il en passe de connaître une grande évolution technologique qui lui permettra d’être à la fois plus rapide et mieux accepté par les fournisseurs d’accès à Internet, à défaut de l’être par les industries culturelles ? Grâce à une carte du réseau réalisée en collaboration avec les opérateurs télécoms, et une modification des protocoles P2P traditionnels, il serait possible selon l’Université de Yale de réduire jusqu’à 50 % la facture de bande passante des FAI, et d’augmenter en moyenne de 60 % la vitesse des transferts.
Le principe d’un réseau de P2P traditionnel est très simple à comprendre. Chaque utilisateur du réseau installe chez lui un logiciel appelé « client », qui se connecte au réseau et communique la liste des fichiers qu’il possède et qu’il met en partage. Les autres utilisateurs, lorsqu’ils souhaitent télécharger un fichier, recherchent donc le fichier et leur logiciel client se charge de contacter un à un chacun des utilisateurs qui déclarent partager le fichier voulu. Premiers arrivés, premiers servis. Vous pouvez ainsi télécharger un bout de film depuis Honk Hong, un autre depuis Paris, New York ou Mexico… multipliant ainsi le nombre de communications longue distance qui coûtent le plus cher aux fournisseurs d’accès à Internet, et qui sont généralement les moins rapides pour le téléchargement.
L’architecture d’un réseau P2P traditionnel
Partant de ce constant, l’Université de Yale a donc développé un protocole baptisé P4P qui reprend une idée simple sur le papier, et qui traîne déjà depuis de longues années comme un serpent de mer chez les développeurs de logiciels de P2P. Plutôt que de se connecter au hasard auprès de tel ou tel client, sans savoir où il est physiquement situé et à quel réseau d’opérateur il est connecté, le protocole P4P se base sur une carte du réseau obtenue avec l’aide des opérateurs eux-mêmes. Le client P2P basé sur P4P vérifie avant chaque connexion où se situe l’utilisateur, et se connecte en priorité aux clients qui sont le plus proche géographiquement de lui, et qui dans l’idéal partagent le même réseau. Un utilisateur de Free sur Paris se connecterait donc en priorité aux utilisateurs parisiens connectés au réseau de Free, tandis qu’un utilisateur sur Bordeaux abonné de Neuf Cegetel se connecterait plutôt aux girondins qui sont clients de Neuf.
On comprend bien que par ce système la vitesse de transfert serait sensiblement améliorée par la réduction de la longueur des tuyaux et l’évitement des goulots d’étranglement. Mais l’avantage premier est économique, pour les opérateurs. Lorsqu’un abonné de Free communique avec un autre abonné de Free, la bande passante entre les deux ne coûte presque rien au FAI, alors qu’il doit au contraire en principe payer pour profiter du réseau d’un opérateur concurrent ou étranger. Des accords de « peering » entre opérateurs permettent de limiter la facture, mais ils ne sont ni systématiques ni totalement gratuits pour l’opérateur qui connaît le plus de « déficit de bande passante » par rapport à l’autre. Avec le P4P, une part substantielle du traffic se ferait au sein du réseau interne.
L’architecture d’un réseau de type P4P
L’Université de Yale a présenté la semaine dernière à New York lors de la conférence de l’Association de l’Industrie du Calcul Distribué (DCIA), qui regroupe et défend les intérêts des sociétés spécialisées dans les architectures P2P, les résultats d’une étude de terrain sur la réalisation technique du protocole. Le chercheur Haiyong Xie s’est associé à l’opérateur télécom américain Verizon et à l’éditeur du logiciel Pando, pour réaliser une étude « grandeur nature » du P4P. L’opérateur a fournit une carte de son réseau de fibre optique pour permettre à Pando de repérer les utilisateurs de son réseau et de les situer géographiquement, en voyant également les « routes » les plus rapides à emprunter entre deux utilisateurs.
« Les résultats de l’étude ont été phénoménaux« , s’est enthousiasmé Douglas Pasko, le responsable technologique de Verizon, qui siège au groupe de travail P4P de la DCIA. « Les bénéfices pour les clients et pour le réseau ont été vus aussitôt que le test a commencé. Ce nouveau système, qui route les fichiers vers le chemin le plus rapide et le moins onéreux, offre à nos clients en fibre optique des téléchargements P2P jusqu’à six fois plus rapides que les réseaux sans la surcouche« . En moyenne, affirme-t-il, les téléchargements étaient 60 % plus rapides.
Reste que plusieurs obstacles se posent à l’adoption générale du procédé. Tout d’abord, il faudrait que l’ensemble des fournisseurs d’accès se mettent d’accord sur l’adoption d’un standard de « mapping » du réseau, et soient d’accord pour soutenir le P4P en donnant aux applications P2P compatibles l’accès aux cartes de leur réseau. Ensuite, il n’est pas du tout certain que le protocole et son application soient ouverts à tous les réseaux et à toutes les applications P2P, et en particulier aux réseaux P2P open-source les plus populaires comme eMule ou BitTorrent. Verizon et les membres de la DCIA voient surtout dans cette technologie une opportunité pour créer des réseaux P2P propriétaires qui offrent des taux de téléchargement plus élevés pour leurs abonnés.
Derrière le P4P, c’est donc aussi la question de la neutralité du réseau qui est posée, avec le risque de voir les fournisseurs d’accès à Internet privilégier les réseaux compatibles P4P et brider au contraire ceux qui ne respecteraient pas le protocole.
Tous ces problèmes pourraient tuer dans l’oeuf une solution séduisante sur le papier.
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