En matière de législation sur le droit d’auteur, la marge de manœuvre des députés est réduite à peau de chagrin. Mercredi, l’Assemblée nationale se transformera à nouveau en simple chambre d’enregistrement pour voter le projet de loi autorisant la ratification du traité de l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle (OMPI) sur les interprétations et exécutions et les phonogrammes, adopté en 1996. Sans aucune incidence sur le droit français, il s’agit en fait de l’aboutissement d’un jeu de poupées russes qui rend toute modification de la protection du droit d’auteur extrêmement complexe à mettre en œuvre. Jugez plutôt.
Le traité de 1996 qui protège les intérêts des producteurs et des artistes-interprètes (tous deux titulaires de « droits voisins ») vient compléter un arsenal législatif international déjà complet, et complexe. Il s’ajoute aux conventions de Berne (1886), de Genève (1952), de Rome (1961), et à l’accord ADPIC régi par l’Organisation Mondiale du Commerce de 1994. Comme si cela ne suffisait pas, il y a en fait deux traités de l’OMPI signés en 1996. L’un touche aux droit des auteurs, et l’autre aux droits voisins. Chacun des traités complète ou précise les précédents, sans jamais tout à fait les remplacer et surtout sans jamais les annuler. L’imbrication de toutes ces conventions internationales est extrêmement subtile, et il faut en plus y ajouter des considérations politiques pour comprendre ces imbrications. Les traités de 1996 ont en effet été conduits par l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle, une organisation des Nations Unis, essentiellement pour ne pas laisser l’OMC diriger le droit d’auteur sous l’influence américaine. Exceptées quelques dispositions, les traités de 1996 sont pour l’essentiel des copier-coller des traités de l’OMC.
L’accord OMPI de 1996 sur les droits voisins avait été négocié et signé par la Communauté Européenne le 20 décembre 1996. La France, disciplinée, a elle-même signé le traité le 9 octobre 1997. Depuis, Bruxelles a transposé le traité dans sa directive européenne EUCD du 22 mai 2001, qui engageait les Etats membres, et la France a fini par la transcrire en droit national dans sa loi DADVSI de 2006. Depuis la signature des accords, il s’était donc écoulé plus de 10 ans entre la phase de négociation par les diplomates européens pressés par les lobbys culturels, et l’entrée en vigueur en droit français des dispositions du traité.
Défaire les poupées russes pour changer de droit d’auteur
Or en 10 ans, le paysage a énormément changé. Napster a fait son entrée, l’internet s’est développé jusqu’à l’émergence du « web 2.0 », et les DRM ont prouvé leur totale inefficacité, au point qu’ils sont aujourd’hui rangés au placard, au moins pour la musique. L’open-source et les licences libres sur les œuvres, aussi, se sont développés. Plus que jamais, il semble urgent de modifier la loi dans un sens qui assouplie les dispositions relatives au droit d’auteur et aux droits voisins, et qui permet un développement plus sûr des systèmes d’échange culturel et des licences libres. Les voix qui demandent une réduction de la durée de protection des œuvres s’élèvent, et les appels à la licence globale commencent enfin à résonner après quelques années d’hésitation.
Or, l’imbrication des traités internationaux interdit de modifier simplement les lois nationales sur le droit d’auteur. Cette imbrication est une assurance de long terme pour les industries culturelles, qui ne s’y trompent pas.
« La ratification de ces Traités n’a pas vocation à changer l’état de notre droit positif étant donné que les principales dispositions de ces deux conventions ont été intégrées dans la directive droit d’auteur, droits voisins dans la société de l’information du 22 mai 2001 puis transposées, dans notre droit interne, avec l’adoption de la loi DADVSI du 1er août 2006« , nous rappelle David El Sayegh, directeur juridique du Syndicat National de l’Edition Phonographique (SNEP). « Pour permettre sa ratification, il était nécessaire que les dispositions de notre droit interne soient en conformité avec celui-ci. Ce qui explique que le législateur a d’abord transposé la directive du 22 mai 2001 et par la suite ratifié ledit traité« .
Pour modifier la loi DADVSI qui protège les DRM et pénalise leur contournement, et alléger la protection du droit d’auteur dans un sens plus favorable au développement des échanges culturels, il faudra d’abord renégocier avec les Etats membres sur la directive européenne de 2001. Ce qui ne pourra pas être fait sans renégocier avec les Etats signataires le traité OMPI de 1996. Ce qui ne pourra pas être fait sans renégocier l’ADPIC de 1994. Ce qui ne pourra pas être fait sans renégocier la convention de Rome de 1996. Ce qui ne pourra pas être fait sans renégocier la Convention de Berne de 1886.
Il serait grand temps de commencer.
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