Ce sont deux petites lignes dans la lettre de mission signée par François Fillon et adressée à Eric Besson, mais deux lignes lourdes de sens pour l’industrie culturelle et pour la commission d’Albis, qui est en charge de définir l’assiette et les montants de la taxe pour copie privée : « les modalités de décision en matière de rémunération pour copie privée méritent d’être examinées afin de disposer d’une procédure objective et transparente« . A contrario, la phrase implique que le fonctionnement actuel de la Commission n’est ni objectif ni transparent dans les yeux de François Fillon.
Il aura fallu attendre que la corde casse à force d’être tirée à pleins bras par l’industrie culturelle pour que le gouvernement admette enfin l’évidence. Les représentants des industriels et une partie des représentants des consommateurs ont décidé en début d’année de claquer la porte de la Commission d’Albis, en critiquant son mode de fonctionnement et son hypocrisie.
En théorie, la commission est composée de façon équilibrée, avec pour moitié des représentants des bénéficiaires de la rémunération, pour un quart des représentants des fabricants et importateurs des supports d’enregistrement taxés, et pour un quart des représentants des consommateurs.
En pratique, c’est la devise « diviser pour mieux régner » qui plane au dessus de la Commission. Alors que deux sociétés de perception (la SORECOP et Copie France) se partagent 10 des 12 voix des bénéficiaires de la rémunération, ce qui leur permet de parler toujours d’un bloc, les 12 voix « opposées » sont éparpillées entre 10 organisations différentes qui n’ont pas forcémment ni les mêmes points de vue, ni les mêmes intérêts à défendre. De plus, au sein-même du collège des consommateurs dont on s’attend à qu’ils protestent contre les hausses des taxes, des tensions existent. Alors que l’UFC-Que Choisir a depuis longtemps quitté son siège en signe de protestation, d’autres associations votent au contraire avec les sociétés d’auteurs, car elles estiment en toute logique que les auteurs et les artistes qui bénéficient de la rémunération sont aussi des consommateurs qu’elles doivent défendre.
La parité de la commission est donc un mythe beaucoup plus qu’une réalité statistique, et son fonctionnement est pour le moins obscur. Les documents de travail sur lesquels elle s’appuie en principe pour prendre ses décisions, par exemple, ne sont pas publiés.
La taxe augmente à mesure que le droit à la copie privée disparaît
De plus, depuis 2001, l’assiette et les montants de la taxe ont été révisés à la hausse à 10 reprises. La dernière révision du 27 février 2008 est venue ajouter à la longue liste des objets taxés les téléphones mobiles qui font aussi office de baladeur MP3 ou vidéo. On parle déjà de taxer l’ensemble des téléphones mobiles, et les disques durs internes destinés aux ordinateurs. Mais on a presque oublié que l’objet de la taxe est de compenser une pratique, celle de la copie privée.
Or depuis 2001, symétriquement, le champ législatif et jurisprudentiel de la copie privée n’a cessé de se réduire. La loi DADVSI est passée par là pour interdire la copie d’œuvres protégées par des DRM, et les juges suprêmes ont décidé de nier l’existence d’un droit à la copie privée, au nom de la protection des intérêts commerciaux des auteurs et des producteurs. Il est d’ailleurs impossible de se prévaloir d’un quelconque droit à la copie privée devant un tribunal. En théorie, la taxe pour copie privée ne peut s’assoir que sur des pratiques légales de copie privée. Le téléchargement, s’il reste illégal, ne peut pas être pris en compte dans le calcul de compensation sans entâcher la taxe elle-même d’illégalité.
Or là aussi en pratique, le piratage est largement pris en compte pour calculer la rémunération pour copie privée, puisque le téléchargement constitue l’essentiel des sources de transferts vers les baladeurs, disques durs et autres objets taxés. Sauf que jamais la commission et ses membres ne l’avouent, pour des raisons évidentes. Et personne jusqu’à présent ne leur demandait de compte. La rémunération pour copie privée vise à taxer d’une main une pratique qui est réprimée pénalement de l’autre.
Ca ne peut plus continuer, mais ça continuera au moins jusqu’à la fin septembre. François Fillon demande en effet à Eric Besson qu’il remette ses propositions « d’ici l’automne », ce qui donne encore le temps à la commission d’étendre la taxe à d’autres supports et d’augmenter les montants en l’absence des industriels et d’une partie des consommateurs. Et de s’enrichir sur une pratique dont la loi Hadopi va encore renforcer la pénalisation par la riposte graduée…
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