Les révélations Uber Files par un consortium de journalistes ont remis sur le devant de la scène le terme « kill switch », une sorte de bouton court-circuit qui permettait à l’entreprise de désactiver des ordinateurs à distance en cas de perquisition de la police. Des méthodes planifiées et très encadrées, pour une start-up qui a toujours dit publiquement vouloir se conformer à la loi.

L’expression « kill switch » est entrée dans l’actualité ce 11 juillet 2022, adossée au nom d’Uber, l’entreprise de mise en relation entre clients et VTC (voiture de transport avec chauffeur). On la retrouve dans plusieurs enquêtes de médias français, comme France Info, qui font partie du consortium de journalistes à qui le Guardian a partagé une centaine de milliers de messages internes, qui mettent en lumière des pratiques controversées d’Uber.

Parmi ces révélations, on trouve l’utilisation d’un « bouton court-circuit », comme on pourrait le traduire en français. Il a été utilisé pour empêcher les autorités d’accéder à des informations de l’entreprise lors de perquisitions.

« L’accès aux outils informatiques a été coupé immédiatement. La police ne pourra pas récupérer grand-chose, voire rien du tout », a par exemple envoyé un cadre d’Uber à un autre, après une perquisition dans les locaux parisiens d’Uber au printemps 2015, apprend-on chez France Info.

Qu’entend-on par « kill switch » ?

Le « kill switch » est en fait une série de manipulations informatiques pour désactiver à distance les comptes des employés perquisitionnés et verrouiller leurs ordinateurs, s’ils étaient encore connectés à Internet ou en communication « avec le serveur central ». D’autres consignes ont également été données aux salariés, comme le fait d’abaisser la durée avant mise en veille des appareils à 60 secondes seulement. Ordre a également été signifié de « conserve[r] un minimum de documents sur [leur] ordinateur » en local, pour privilégier le stockage à distance.

On savait déjà, depuis 2016, que cette procédure d’urgence existait chez Uber, notamment après une perquisition à Montréal. Mais d’après le Guardian, elle aurait été utilisée au moins douze fois, dans six pays (France, Pays-Bas, Belgique, Inde, Hongrie et Roumanie).

Les échanges dévoilés montrent que les plus hauts dirigeants d’Uber parlaient de ce « bouton » : « Activez le kill switch immédiatement… L’accès d’Amsterdam doit être coupé », a ainsi envoyé Travis Kalanick au moins une fois, tout comme Pierre-Dimitri Gore-Coty, ancien directeur d’Uber Europe. « Je suis entré chez Uber il y a dix ans, au début de ma carrière. J’étais jeune et inexpérimenté et j’ai, trop souvent, pris mes consignes de la part de supérieurs à l’éthique discutable », a depuis commenté auprès du Monde celui qui est aujourd’hui directeur d’Uber Eats.

Travis Kalanick à une conf TechCrunch // Source : Wikimedia Commons
Travis Kalanick à une conérence TechCrunch. // Source : Wikimedia Commons

Pourquoi Uber verrouillait des ordinateurs à distance ?

Pour comprendre l’utilité de ce bouton (il s’agit en réalité plus que d’un simple bouton, l’expression est métaphorique), il faut revenir au milieu des années 2010, alors qu’Uber essayait de s’imposer dans des pays où la législation ne jouait pas en sa faveur. La start-up a décidé de bouger vite et casser des choses, et de lancer son service avant de savoir s’il était conforme aux lois de chaque pays.

Résultat : alors que le nombre d’utilisateurs de l’application augmentait, les autorités de chaque pays multipliaient les perquisitions pour obtenir des informations sur Uber et leurs méthodes, et vérifier son statut potentiel d’entreprise de taxis déguisée.

Au cours d’une rencontre avec la police, certains cadres d’Uber auraient fait semblant « d’avoir l’air perdu » alors qu’ils savaient très bien que le recours au « court-circuit » avait eu lieu. La légalité d’un tel procédé est évidemment discutable ; il pourrait s’agir d’une obstruction à la loi.

Dans un échange par mail en février concernant une perquisition en Inde, un cadre explique que l’une des raisons de l’existence de ce court-circuit d’urgence est d’empêcher la police d’avoir accès à la liste des chauffeurs Uber : « Si nous fournissons notre liste de chauffeurs, nous perdons notre ‘réserve’. C’est beaucoup plus facile pour les impôts, les régulateurs et la police de terrifier [nos chauffeurs] et de les faire céder. Sans eux, on n’a pas de business. Pour être bien clair, je veux apparaître aussi coopératif que possible avec les autorités fiscales. Mais si on leur transmet la liste des chauffeurs, les carottes sont cuites », écrit alors Zac de Kievit, le directeur juridique d’Uber Europe.

Uber a précisé avoir cessé d’utiliser ce système en 2017, lorsque Travis Kalanick a cédé sa place à Dara Khosrowshahi. Par la voix d’une porte-parole, Travis Kalanick a répondu ce 10 juillet 2022 que le kill switch n’était « pas designé pour faire obstruction à la justice, ni intégré comme ça », mais pour « protéger la propriété intellectuelle et la vie privée des consommateurs ».

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