L’offensive contre les sites pornographiques qui ne contrôlent pas, ou mal, l’âge des internautes, se poursuit. L’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom) a ainsi adressé des mises en demeure contre YouPorn et RedTube en avril. Et maintenant, c’est l’univers de « Jacquie et Michel » qui est sous le coup d’une procédure du régulateur depuis mi-juillet.
La procédure de l’Arcom contre « Jacquie et Michel » survient alors que la structure est aujourd’hui dans le viseur de la justice. En cause, des accusations de viol, de violences sexuelles et de proxénétisme. Le propriétaire a été mis en examen et des femmes victimes du système ont témoigné dans les médias.
Ce qui est reproché spécifiquement à la plateforme (en fait à trois sites semblables, qui sont pilotés par deux éditeurs), c’est d’employer une solution de contrôle de l’âge des internautes qui ne convient finalement pas à l’Arcom — qui est justement en charge de constater la présence ou non d’un dispositif servant à cette vérification et d’en jauger la pertinence.
Ce contrôle consiste à prendre une empreinte de la carte bancaire, via la solution fournie par My18Pass, qui est pilotée par Arès, l’un des deux éditeurs de l’univers « Jacquie et Michel » — l’autre étant Detchema. My18Pass commercialise un outil qui s’adresse aux sites réglementés, qu’il s’agisse des sites X, de la vente d’alcool, des jeux d’argent ou des cigarettes électroniques.
Les contrôles effectués par huissier de justice les 3 mars et 6 avril 2022 ont montré que l’accès aux trois sites pornographiques de « Jacquie et Michel » est conditionné à la connexion à un compte My18Pass, qui comporte une étape de vérification de majorité de l’internaute en lui faisant saisir des informations de sa carte bancaire.
Or, ça ne va pas : « Le procédé technique mis en place […] n’est pas fiable dans la mesure où l’utilisation d’informations relatives à une carte bancaire dont le titulaire est mineur permet la création d’un compte My18Pass », développe l’Arcom dans ses trois mises en demeure. Résultat, ce même mineur peut alors accéder aux contenus d’un des trois sites.
Une autre solution doit être mise en place. Mais laquelle ?
L’Arcom exige donc de « Jacquie et Michel » le remplacement de My18Pass par un système qui évite cette faiblesse ou, à tout le moins, la mise à jour de My18Pass de façon qu’un mineur titulaire d’une CB ne puisse berner le contrôle. En l’état, les sites sont en infraction du Code pénal. Les éditeurs ont 15 jours « pour présenter leurs observations » et corriger le tir.
Il convient de souligner qu’en la matière, les éditeurs de sites pornographiques sont laissés à l’abandon par le régulateur comme le législateur. En effet, si les textes de loi imposent aux sites X qu’ils installent à l’entrée un contrôle d’accès pour écarter de manière efficace les mineurs, aucune indication n’est donnée sur la manière d’y parvenir ni aucune recommandation.
Les sites X doivent donc se débrouiller en ne sachant pas à l’avance si la solution retenue trouvera grâce auprès de l’Arcom. On le voit ici avec « Jacquie et Michel », qui a tenté quelque chose. Mais la piste empruntée n’est finalement pas considérée comme fiable par l’autorité de régulation. Retour à la case départ, donc, à ceci près que les risques croissent pour « Jacquie et Michel ».
En effet, une infraction qui perdurerait pourrait se solder par la décision de l’Arcom de saisir les tribunaux afin de demander le blocage pur et simple des sites litigieux par les principaux fournisseurs d’accès à Internet français — Orange, SFR, Bouygues Telecom et Free. L’audience de « Jacquie et Michel » étant surtout française, le site sombrerait sans doute.
Il n’existe aujourd’hui pas de système intégralement fiable pour distinguer avec certitude les internautes adultes des mineurs, tout en assurant par ailleurs d’autres obligations de protection de la vie privée, de confidentialité, de sécurité et en évitant de verser dans des méthodes trop invasives ou de constituer des listes d’internautes désirant accéder à des contenus X.
C’est ainsi qu’une solution comme FranceConnect a été écartée en 2020 par le gouvernement, car elle apparaissait disproportionnée et éloignée du but premier de la plateforme, qui vise à avoir un système de connexion centralisé avec le service public. Une autre piste qui émerge serait l’application d’identité numérique, avec la carte nationale d’identité électronique.
Cette application pourrait générer des jetons d’authentification qui confirmeraient le caractère majeur ou mineur de l’internaute, sans exposer son identité — mais encore faut-il que cette piste soit retenue et évaluée. Une réticence légitime pourrait surgir comme avec FranceConnect, en ne voulant pas associer un service régalien avec le secteur du X.
Tout l’enjeu, en somme, est de savoir quel est le degré d’exigence que l’Arcom tient à imposer pour les sites pornographiques.
Faut-il un dispositif pur et parfait, qui ne souffre d’absolument aucun trou dans la raquette — ce qui, en matière de technologie, est peut-être vain, sauf à verser dans des techniques beaucoup trop intrusives — ou bien retient-on une solution qui a le mérite d’éjecter assez facilement la grande majorité des mineurs ? Car c’est bien le but de la loi : contrer les accès trop faciles.
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