Selon Le Monde, deux journalistes cadres de la chaîne d’information internationale France 24 ont été mis à pied pour « faute professionnelle ». Leur tort ? Avec organisé sur le plateau un débat faisant état des théories du complot qui entourent les évènements du 11 septembre. Ou comment les médias traditionnels, par l’obsession de paraître plus professionnel qu’Internet, en arrivent à se déconnecter totalement des attentes du public et précipitent eux-mêmes leur déchéance.

Mise à jour 15h56 : Au moment de son écriture, notre article s’est appuyé sur l’article du Monde du journaliste Daniel Psenny, qui écrit qu’il est « reproché à M. Deniau d’avoir organisé un débat, le 11 septembre, jour anniversaire des attentats de 2001, sur « la théorie du complot », contre l’avis de la direction ». Plusieurs lecteurs nous signalent cependant un article de Rue89, qui présente une autre explication. Nos confrères indiquent que « selon le motif invoqué par la direction de France24, Grégoire Deniau n’a pas été renvoyé pour avoir organisé ce débat, mais pour avoir  » menti  » dans les explications qu’il a données à Gérard Saint-Paul, le directeur général en charge de l’information ».

Cacher l’existence d’un débat public d’envergure sur un sujet aussi important que les attentats du 11 septembre est-il vraiment la meilleure manière de démonter et de faire disparaître les arguments de ceux qui ne croient pas dans la version officielle ?

Comme nous l’analysions récemment, le fossé se creuse entre d’un côté les médias traditionnels qui se refusent à parler des thèses dites « conspirationnistes », et de l’autre de nombreux internautes qui s’échangent d’innombrables documents et autres vidéos pouvant laisser penser que les tours jumelles se sont écroulées par l’effet d’une démolition contrôlée, qu’une troisième tour à Manhattan a été détruite volontairement sur le même shéma sept heures après l’attentat, ou qu’aucun avion n’a jamais percuté le Pentagone.

Les télévisions, radios et presse papier traditionnelles se veulent porteurs d’une probité infaillible pour – sans doute, convaincre le pouvoir qu’il faut protéger le statut de la presse et encadrer un internet aussi dangereux pour leurs parts de marché que pour la morale publique. Aussi lorsqu’ils parlent des « complotistes », ça n’est jamais pour opposer argument contre argument et démonter la thèse conspirationniste en faisant alors un travail approfondi d’information et d’éducation (au sens noble du terme), mais pour attaquer sans autre forme de procès un supposé manque de crédibilité, de sérieux ou de professionnalisme des internautes. Par opposition, bien sûr, aux « vrais journalistes » qui font leur métier le plus sérieusement du monde.

Un internaute, kropotkine427, s’est pourtant fait une spécialité sur Dailymotion de démonter à son tour toutes les accusations proférées dans les médias traditionnels à l’encontre des partisans de la théorie du complot. Un travail qui peut se résumer à une seule vidéo (voir ci-après). Polémiste de l’émission « On refait le monde » sur RTL, la professeur agrégée de science politique Géraldine Muhlmann (auteur de plusieurs ouvrages sur le rapport entre le politique, la démocratie et le journalisme) avait d’abord affirmé sur l’antenne de la radio la plus écoutée de France que les tours jumelles ne s’étaient pas effondrées en 10 secondes comme le prétendent de nombreux documentaires. C’est un point clé dans la théorie des « complotistes », puisque 10 secondes représentent à peu de chose près la vitesse de l’effondrement en chute libre, c’est-à-dire sans aucun obstacle autre que l’air – une caractéristique typique des démolitions contrôlées, où le but est de faire tomber l’immeuble le plus droit possible en évitant les entrechoquements des différents étages. Or mêmes les documents officiels font état de l’effondrement en 10 secondes. Immédiatement, les auditeurs visiblement très informés ont réagi avec « violence » par de nombreux courriers. « C’est la première fois que ça arrive« , reconnaît une semaine plus tard Mme Muhlmann. Preuve, s’il en est, que le débat est vif dans l’esprit du public, à défaut de l’être dans les médias. Mais plutôt que de reconnaître elle-même son erreur factuelle et de la rectifier, la polémiste préfère s’enferrer dans une justification intenable, avant que le débat ne tombe vers la comparaison la plus abjecte avec les négationnistes de la Shoah, qui met un terme à tout débat.

Pendant ce temps, les théories du complot continuent à s’enrichir chaque jour sur Internet sans que les médias n’en parlent de façon plus objective, et le fossé continue de se creuser. Quelques journalistes, toutefois, tentent d’aller au charbon et de faire véritablement leur métier, en refusant de continuer à ignorer l’existence d’une théorie devenue très populaire, quelle qu’en soit son mérite. Après tout, le rôle d’un journaliste est aussi d’être le témoin de son époque et des courants de pensée qui la traverse. C’est le cas de Grégoire Deniau et Bertrand Coq, les directeur de la rédaction et rédacteur en chef de la chaine d’information France 24. Pour avoir organisé sur le plateau un débat évoquant les théories conspirationnistes, les deux journalistes ont été immédiatement mis à pied pour « fautes professionnelles« . Un motif lourd qui en dit long sur l’esprit qui règne dans les rédactions.

Est-ce pourtant vraiment une faute professionnelle que d’organiser un débat qui, ostensiblement, passionne des millions d’individus dans le monde ?

Dès l’introduction du débat, le journaliste avait mis des gants pour justifier l’émission. « Je le dis tout de suite, avait-il prévenu, le but de ce débat n’est pas du tout de mettre sur le même plan ces théories [du complot] avec les évènements de ce jour-là qui sont étayés par des faits concrets, des témoignages, mais plutôt de se demander pourquoi ces thèses conspirationnistes ont tant de succès« . La mise en garde n’a pas suffit à la direction.

Ces mises à pied ajoutées au fait que la chaîne internationale France 24 soit dirigée par Christine Ockrent, épouse du ministre des affaires étrangères Bernard Kouchner, ne devrait pas plaider dans l’esprit du public en faveur de l’indépendance et de la probité des médias français.

Or pour lutter contre la concurrence des nouveaux médias, c’est bien par l’indépendance, l’objectivité et la qualité d’enquête que les médias traditionnels arriveront à se démarquer et à renouer avec la croissance. Si l’on peut comparer la presse à une industrie, ce qu’elle est objectivement, cacher aux clients ce qu’ils attendent et se contenter de critiquer sans cesse le produit du concurrent qui lui, répond aux attentes, n’est pas ce qui nous semble être le meilleur business model…

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