Après le revers adressé à Nicolas Sarkozy par la Commission Européenne, les choses tournent au vinaigre pour l’industrie culturelle et son envie de riposte graduée. La Commissaire européen Viviane Reding, qui avait dans un premier temps apporté son soutien à l’idée de proposer la riposte graduée, a violemment retourné sa veste et défend désormais corps-et-âme l’amendement Bono-Cohn-Bendit (amendement 138), au point d’annuler sa venue à un évènement incontournable de l’industrie cinématographique.
Votant comme un seul homme contre la riposte graduée avec 88 % de voix favorables, les eurodéputés ont adopté le mercredi 24 septembre un amendement au Paquet Télécom qui affirme le « principe selon lequel aucune restriction aux droits et libertés fondamentales des utilisateurs finaux [d’internet] ne doit être prise sans décision préalable de l’autorité judiciaire« . Une disposition qui met à plat tout le projet français de la riposte graduée, justement construit pour contourner l’autorité judiciaire. Poussée par les lobbys et par la Présidence française de l’Union Européenne, Viviane Reding avait immédiatement indiqué son souhait de supprimer l’amendement du texte qui sera présenté en seconde lecture début 2009. Mais très vite, les considérations politiques ont repris le dessus.
Avec une tel plébiscite, la Commission ne pourrait pas retirer l’amendement Bono sans insulter la démocratie européenne et ses représentants, qui avaient déjà voté dans le même sens en avril dernier. Or Viviane Reding est actuellement en campagne pour être réélue à la Commission, et elle aura besoin pour cela du soutien des députés européens. Aller contre leur vote serait un suicide politique.
Mais loin de se contenter d’un discret changement de ton, la Commissaire a écrit à l’Association des Réalisateurs-Producteurs (ARP) pour leur indiquer qu’elle n’assisterait pas cette année aux Rencontres Cinématographiques, un évènement international majeur qu’elle ne manque pourtant jamais.
« C’est à mon grand regret que j’ai dû constater au cours des derniers semaines, que le secteur culturel avait lancé un débat agité et parfois polémique avec pour objectif d’inclure, dans le ‘paquet télécom’ discuté en ce moment par les institutions communautaires (Parlement Européen et Conseil), une sorte de légalisation européenne de la ‘riposte graduée’ sur le modèle de celle actuellement en discussion en France« , explique Viviane Reding dans une lettre (.pdf) adressée à l’ARP révélée par le Figaro.
Nicolas Sarkozy isolé sur le dossier de la riposte graduée
Tout en rappelant qu’elle a « toujours soutenu des solutions équilibrées et adaptées » pour lutter contre le piratage, Mme Reding écrit qu’elle « regrette que la polémique entre ‘producteurs du contenu’ et ‘partisans d’un internet libre’ soit arrivée à des sommets tels, qu’à un certain moment, ces tentatives ont même mis en danger les propositions de la Commission européenne« .
Elle reconnaît que « les groupes politiques se sont ralliés autour d’un amendement de compromis voté par 573 pour et 74 contre« , dans l’intention de « calmer le jeu« . Aussi, « pour respecter le droit des élus du peuple, la Commission se doit de transférer cet amendement au Conseil« , a estimé la Commissaire.
L’ARP, qui avait déménagé ses Rencontres Cinématographiques de Beaune à Dijon après les débats sur la loi DADVSI pour punir le député-maire UMP de Beaune qui avait soutenu la licence globale et combattu, déjà, la riposte graduée, a dû apprécier froidement la missive.
La lettre de Viviane Reding traduit l’exaspération des législateurs européens, qui disent en coulisse avoir été véritablement harcelés par le poids du lobbying de l’industrie culturelle. Si le vote a été aussi massif au Parlement européen, c’est aussi, selon des bruits de couloir, pour remettre les lobbys à leur place et leur envoyer un message fort. Pour justifier sa décision de ne pas venir aux Rencontres, Mme Reding n’hésite pas à écrire que « les instances européennes ne doivent pas se laisser instrumentaliser pour obtenir le cautionnement d’un modèle spécifiquement national à l’échelle communautaire« .
Elle invite enfin les autorités françaises, dans sa lettre, à respecter le cadre de l’amendement 138, ce qui doit conduire Christine Albanel à abandonner le projet de loi Création et Internet sous sa forme actuelle. Elle annonce, par ailleurs, que la future recommandation « Contenu en ligne » qui devait préciser un nouveau cadre au respect des droits d’auteur sur Internet, sera retardée suite au vote de l’amendement Bono.
Le Président de la République Nicolas Sarkozy, qui souhaite obtenir du Conseil de l’Union Européenne du 27 novembre prochain le retrait de l’amendement, se retrouve un peu plus isolé dans un combat devenu pathétique. Pour parvenir à ses fins, il devra d’abord obtenir la majorité qualifiée des Etats membres, qu’il aura des difficultés à réunir sur un échiquier recomposé.
Alors que la Grande-Bretagne est montrée en exemple pour avoir initié la première des messages d’avertissements à destination des internautes « pirates », le premier ministre Gordon Brown a assuré quelques jours après le vote de l’amendement européen qu’aucun projet de riposte graduée n’était à l’étude outre-Manche. Lui aussi a fait volte-face en reniant ses engagements passés. C’est donc encore un allier de poids qui s’en va pour Nicolas Sarkozy, qui même s’il obtient le retrait de l’amendement au Conseil, le verra revenir comme un boomrang en seconde-lecture.
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