Avouons-le, nous ne comprenons plus tous les épisodes du feuilleton que jouent devant nos yeux les défenseurs de la riposte graduée. Tout va trop vite, dans tous les sens.
Dans les épisodes précédents. En avril 2008, le Parlement Européen décide de voter une résolution contre la riposte graduée qui n’a pas de valeur juridique, mais qui envoie un signal politique fort aux Etats membres, en particulier à la France. La ministre de la Culture Christine Albanel prétend pourtant que les parlementaires n’ont rien compris, et profite du caractère non contraignant de la résolution pour persister dans son projet de loi Création et Internet.
Six mois plus tard les députés européens tiennent à dire à Christine Albanel qu’ils avaient bien compris, en votant plus massivement encore pour un amendement qui a cette fois un caractère juridique contraignant, dans le cadre du paquet télécom qui ne sera adopté définitivement que l’an prochain.
Cette fois Christine Albanel (UMP) prétend que l’amendement européen n’a aucune incidence sur le projet de loi français, et le secrétaire d’Etat à l’Industrie Luc Chatel (UMP) publie dans les minutes qui suivent le vote européen un communiqué pour se féliciter de l’adoption du Paquet Télécom en première lecture. Tout va bien Madame la Marquise, tout va très bien.
Puis patatras, quelques heures plus tard, le porte-parole de l’UMP Frédéric Lefebvre met les pieds dans le plat et contredit la ministre en critiquant le vote européen, et en demandant au gouvernement de ne pas en tenir compte et de continuer tête baissée dans la riposte graduée, le plus vite possible. Il a été conforté un peu plus tôt par la Commissaire européen Viviane Reding, qui fait savoir immédiatement après le vote qu’elle compte bien obtenir de la Commission le retrait de l’amendement 138 avant le renvoi du texte en seconde lecture. Mais elle se rend compte qu’elle risque alors de perdre le soutien des parlementaires européens dont elle aura besoin bientôt pour sa réélection, et elle change d’avis.
Ni une ni deux, le Président de la République Nicolas Sarkozy outrepasse ses pouvoirs et envoie quelques jours plus tard un fax au cabinet personnel du Président de la Commission Jose-Manuel Barroso pour exiger le retrait de l’amendement auquel Viviane Reding ne veut plus toucher. Manque de chance, le fax a une fuite et le document se retrouve publié sur Internet. Un début de scandale éclate quand finalement un communiqué non signé mais attribué aux services de Jose-Manuel Barroso traverse les rédactions. Sans ménagement, il envoit valser Nicolas Sarkozy et sa ministre en leur rappelant le respect dû à la démocratie européenne et au fonctionnement des institutions. Si Nicolas Sarkozy veut changer quelque chose au Paquet Telecom, c’est au niveau du Conseil européen du 27 novembre qu’il devra en faire la demande et obtenir l’accord des autres états membres.
Or, étant donné que le texte français est programmé au 18 octobre au Parlement, on le croit enterré pour de bon.
D’autant que dans le même temps, Viviane Reding qui était au départ favorable à la riposte graduée va beaucoup plus loin qu’une simple reconnaissance des droits des parlementaires, en prenant l’amendement 138 sous son aile. Excédée par les lobbys qui lui reprochent d’avoir laissé passer le texte, elle décide dans un spectaculaire retournement de défendre l’amendement maudit, et annule sa participation aux Rencontres de Dijon organisées par tout le gratin du cinéma français, pour ne pas « être instrumentalisée ».
Mais on apprendra plus tard, aujourd’hui, que Barroso est vert de rage. Le communiqué que toute la presse a relayé n’était pas de lui, ni de son cabinet, mais du cabinet de Mme Reding. Il s’emporte, crie au scandale, à l’irresponsabilité, et promet que l’on ne l’y reprendra plus. Il fait savoir, sans publier de communiqué officiel, que le communiqué officieux ne reflète pas son point de vue ou celui de la Commission, et qu’il faudra un nouveau débat. Mme Reding a bien fait d’annuler sa venue à Dijon, où la moutarde est montée au nez des lobbyistes du 7ème art.
Et finalement, une nouvelle stratégie contre l’amendement 138 pourrait être confiée Luc Chatel… celui-là même qui s’était félicité de l’adoption du Paquet Télécom au moment où les passants de la rue de Valois entendaient crier Mme Albanel.
Le député Guy Bono, qui n’a cessé pendant tout ce temps de ferrailler dès que son amendement était remis en cause, a encore dégaîné ce soir. Il s’étonne du possible revirement de M. Barroso, alors que « le porte parole de M. Barroso était pourtant bien présent, lundi dernier à la conférence de presse tenue par le cabinet de Mme Reding« . « M. Barroso en faisant du rétropédalage montre une image déplorable de la Commission européenne et ne fait que refléter trop bien le mal qui ronge la construction européenne soumise aux pressions des Etats membres: c’est toujours la même chose: un pas en avant deux pas en arrière !« , dénonce le parlementaire.
Il prévient : « la Commission européenne ne doit pas permettre à la France d’imposer son diktat aux autres Etats membres et piétiner ainsi la volonté des députés européens, élus au suffrage universel direct. »
Et menace : « Si M. Barroso considère avoir la légitimité suffisante pour rejeter un amendement adopté à la quasi unanimité par le Parlement européen, je l’invite dès aujourd’hui à se présenter, ainsi que tous les autres Commissaires, aux prochaines élections européennes«
La suite au prochain épisode.
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