Nous n’avons jamais cessé de répéter quasiment quotidiennement sur Numerama, sans lassitude mais avec conviction, que le problème fondamental de la riposte graduée prévue par l’accord Olivennes puis par le projet de loi Création et Internet n’est pas dans le fait de sanctionner l’internaute « pirate ». Mais dans l’irrespect flagrant et dangereux des principes républicains d’un état de droit, en particulier ceux des droits de la défense. Le mécanisme présenté mercredi soir par Christine Albanel ne prévoit en effet aucune exigence sur la qualité du relevé des preuves à partir desquelles la Haute Autorité expédiera, de façon automatisée, ses lettres de prévention puis ses décisions de sanctions.
Deux problèmes fondamentaux se posent aux parlementaires :
- Comment être sûr que l’accès à Internet dont l’adresse IP a été relevé par les ayants droit a effectivement été utilisé pour pirater, alors-même qu’il est possible de collecter des adresses IP innocentes ?
- Comment être sûr que le titulaire d’un abonnement à Internet, effectivement utilisé pour pirater, ne l’a pas été malgré l’installation des mesures de sécurité imposées par l’Hadopi ?
Nous avons émis de nombreuses fois la crainte que la question ne soit jamais soulevée par les parlementaires, plus préoccupés par la nature de la sanction finale que par la véracité de son fait générateur. Mais la question sera bien abordée par les sénateurs, qui ne pourront pas l’éviter.
La Commission des affaires économiques présidée par le sénateur Bruno Retailleau (photo ci-dessus), qui a rendu son avis sur le projet de loi, va en effet proposer à la chambre une série d’amendements destinés à renforcer les preuves exigées pour la mise en œuvre de la riposte graduée. S’ils votent contre, les sénateurs devront s’en justifier.
Le premier de ces amendements prévoit d’imposer que le prélèvement d’une adresse IP soit accompagnée d’un début de téléchargement pour s’assurer que le fichier est effectivement mis à disposition par l’abonné. « Afin d’éviter la sanction d’internautes innocents, l’HADOPI ne doit pas se contenter de présomptions de piratage« , prévient M. Retailleau, qui constate dans son rapport que « certains des outils utilisés par les sociétés mandatées par les ayant-droits pour effectuer des relevés se limitent à interroger les serveurs qui fournissent la liste des dernières adresses IP ayant partagé tel fichier piraté« .
« Or des pirates peuvent glisser dans ces listes des adresses IP prises au hasard et détourner ainsi la sanction vers des internautes innocents; afin d’éviter ces » faux positifs « , l’HADOPI doit vérifier systématiquement les faits en interrogeant chacune des adresses IP pour initier un téléchargement et constater ainsi que le suspect partage effectivement l’œuvre pour laquelle son adresse a été prélevée« .
D’autres amendements visent à « imposer à la commission de protection des droits de fournir au destinataire d’une de ses recommandations la liste des œuvres ou objets qu’il lui est reproché d’avoir utilisés illicitement« , à « mettre en œuvre une riposte effectivement graduée » (en donnant aux différentes étapes un caractère obligatoire), et à donner à l’abonné le droit de « contester toute recommandation qu’il estime recevoir à tort et à imposer à la commission de protection des droits de justifier son envoi« .
Par ailleurs, le rapporteur demande que l’éventuelle coupure de l’accès à Internet soit suspendue en cas de contestation, pour qu’elle ne soit appliquée qu’en cas d’échec du recours. En effet, dans le texte présenté par le gouvernement les recours ne sont pas suspensifs et la coupure de l’accès aurait donc déjà eu lieu une fois l’appel examiné par un tribunal. L’amendement proposé a donc le double avantage pour la Commission d’éviter ordre et contre-ordre successifs au fournisseur d’accès à internet chargé de mettre en œuvre les décisions de l’Hadopi, et surtout de renvoyer la question cruciale de la vérification des preuves aux tribunaux s’ils sont saisis d’une contestation.
Ce sont en effet les tribunaux, en cas d’appel de la sanction, qui devront dire si l’abonné avait oui ou non mis en œuvre les mesures de protection préconisées par l’Hadopi et communiquées par le FAI. En pratique, le doute devrait toujours bénéficier à l’internaute, puisque la preuve est impossible à apporter.
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