Christine Albanel pouvait afficher un large sourire mercredi soir en quittant le Palais du Luxembourg. L’entame de l’examen de son projet de loi Création et Internet s’est déroulée dans une paisible harmonie tout juste troublée par quelques bâillements bien compréhensibles et quelques critiques sans conviction. Pendant près de trois heures, une petite dizaine de sénateurs se sont succédés, le nez pointé vers leur texte lu avec l’hésitation d’un écolier qui présente pour la première fois son exposé. Pour deux sénatrices nouvellement élues, c’était d’ailleurs le cas.
Comme nous le révélions dès mardi, les Socialistes ont été particulièrement prompts à manifester leur attachement au mécanisme d’avertissement et de sanction proposé par Christine Albanel. Serge Lagauche a ainsi salué une « démarche consensuelle, pédagogique et novatrice à laquelle on ne peut que souscrire« , et décoché une flèche acide à l’encontre de Free et de son fondateur Xavier Niel, qui a renié les accords Olivennes après les avoir signés. « Il est regrettable que certains FAI se soient permis de retirer leurs signatures sous le prétexte fallacieux qu’on leur a fait signer une page blanche« , s’est ainsi agacé le sénateur socialiste, en référence aux accusations formulées cet été par le PDG de Free. L’ancienne ministre de la culture Catherine Tasca et le sénateur Richard Yung lui ont succédé pour soutenir également le texte au nom des socialistes. « Il ne s’agit pas d’un texte liberticide. Ce qui est liberticide c’est de nier le droit d’auteur« , lâchera même ce dernier.
Guy Bono, le député européen socialiste à l’origine de l’amendement 138 qui oblige à passer par l’ordre judiciaire avant toute mesure « contraire aux droits fondamentaux des usagers » d’internet, a pu entendre ses oreilles siffler. Même s’il n’a jamais été personnellement mis en cause par ses homologues, la portée juridique de son amendement a été balayée sur tous les bancs, et le vote massif du Parlement européen contre la riposte graduée a été moqué. « Il n’y aura pas d’Europe sans création proprement européenne. Pas d’Europe lumineuse sans une volonté farouche de promouvoir les œuvres de l’esprit, de défendre le droit d’auteur« , a ainsi tâclé l’UMP Michel Thiollière.
Une offre légale insatisfaisante selon les sénateurs
Dans un concert d’éloges pour le projet de loi et d’effroi pour l’avenir de la création culturelle, quelques voix dissidentes se sont tout de même exprimées, avec plus ou moins de vigueur. Le communiste Ivan Renar a ainsi dénoncé « l’attentisme et le conservatisme étriqué » des industries culturelles qui veulent « arrêter le progrès« , parce qu’elles sont « incapables d’être en phase avec leurs temps« . Déjà résigné, il a demandé à ce que la loi donne lieu à un bilan dans deux ans, pour la réviser voire pour l’abandonner totalement. Par ailleurs, la sénatrice Verts Alima Boumedienne-Thiery a estimé que le projet de loi « néglige beaucoup d’artistes-interprètes » et « répond davantage aux puissants acteurs« . Dans un contexte de « manque de pouvoir d’achat des citoyens« , « ce projet de loi n’apporte pas un centime de plus à la création« , a-t-elle regretté.
L’essentiel des critiques, formulées sans aucune exception par l’ensemble des intervenants, s’est toutefois concentré sur le développement beaucoup trop partiel et trop lent de l’offre légale. Malgré la satisfaction affichée par Christine Albanel devant la multiplication du nombre d’offres disponibles sous différents modèles économiques (financement par la publicité, paiement à l’acte, au forfait,…), le Sénat a été unanime pour exiger des industries culturelles un effort démultiplié sur le développement de l’offre légale. C’était en effet l’autre plateau de la balance des accords Olivennes, oublié dans le projet de loi. La haute assemblée, qui avait supprimé en 2006 la disposition de la loi DADVSI rendant obligatoire l’interopérabilité des DRM, a donc demandé la suppression de tous les DRM ou la création d’un standard interopérable. Elle a également demandé que le gouvernement impose une révision de la chronologie des médias pour raccourcir la fenêtre d’exploitation en VOD des œuvres cinématographiques. Mais Christine Albanel a renouvelé son opposition à toute mesure coercitive, pour ne pas que le législateur interfère avec les lois du marché. Elle continue de croire dans les accords interprofessionnels pour régler ces questions.
Si cette première soirée de discussion générale du projet de loi s’est déroulée sans encombre pour la ministre de la Culture, la discussion des articles et des amendements qui débute jeudi matin devrait cependant découvrir les premières embuches. La sénatrice de l’Union Centriste Catherine Morin-Dessailly a ainsi pointé du doigt le problème du « droit de se défendre » qui ne serait pas respecté par le projet de loi. Le mécanisme fait peser une « présomption de culpabilité sur l’abonné« , alors qu’il est « simple de faire accuser un internaute innocent« , a-t-elle prévenu. « L’abonné devra prouver qu’il a été piraté, ce qui est pour un profane difficile voire improbable (…) Nous avons des interrogations sur la possibilité de contester le bienfondé des recommandations (les lettres d’avertissement, ndlr), comme toute recommandation administrative. »
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