Après la discussion générale de mercredi soir qui a permis de dégager une unanimité quasi parfaite sur les grandes lignes de la riposte graduée, les sénateurs ont débuté jeudi matin l’examen des 177 amendements au projet de loi Création et Internet présenté par la ministre de la Culture Christine Albanel. La composition de la Haute autorité administrative (Hadopi), son mode de fonctionnement et le mécanisme de la riposte graduée étaient ce matin au coeur des discussions.
Les sénateurs, sur avis du gouvernement, ont d’abord rejeté toute idée de rendre obligatoire la désignation de représentants des consommateurs et des internautes au sein du collège de l’Hadopi, dont le Président sera élu par ses pairs. La présence d’un membre de la CNIL au sein de la commission des droits de l’Hadopi, en vue de veiller au respect de la vie privée, a également été rejetée, au motif que la loi apportait déjà des garanties suffisantes en faisant de l’Hadopi une « chambre noire » entre les fournisseurs d’accès et les ayants droit.
Au nom du respect de la vie privée, le gouvernement suivi par une majorité des sénateurs a également interdit que le nom des œuvres piratées pour lesquelles l’abonné reçoit des lettres d’avertissement soit mentionné dans les courriers. L’internaute saura l’heure et le jour de l’infraction pour laquelle il est fiché, mais il ne saura pas pour quelle œuvre. Si cette décision est logique au regard de la vie privée, puisqu’elle permettrait sinon à l’abonné de savoir éventuellement ce qu’un membre de sa famille a téléchargé, elle rend plus difficile encore la possibilité pour l’abonné de se défendre. Comment savoir que l’on n’a pas commis une infraction si l’on ne sait pas exactement de quelle infraction il s’agit ?
Sur ce point, le Sénat a adopté un amendement contre l’avis du gouvernement, qui pourrait créer un obstacle majeur à la saisine de l’Hadopi. Les sénateurs ont en effet adopté l’amendement 70 présenté par M. Retailleau, qui fait obligation à l’Hadopi de n’envoyer ses recommandations préalables aux sanctions que pour des « faits constituant un manquement », alors que le texte du gouvernement parlait de faits « susceptibles » de constituer un manquement. Concrètement, l’Hadopi ne pourra pas se baser sur de simples présomptions, mais sur de véritables preuves que l’abonné a effectivement manqué à son obligation de surveillance.
Le Sénat a également adopté le principe d’une lettre d’envoi en recommandé envoyée obligatoirement avant l’étape de la sanction, alors que le texte initial était flou sur ce point. En revanche, il n’a pas écarté la menace de la double sanction (pénale et administrative), au motif que les cas où les ayants droit feraient appel à la fois à l’Hadopi et au juge pénal seraient « rarissimes » selon la ministre.
Enfin, les sénateurs ont adopté l’amendement 132 rectifié présenté par le groupe socialiste, qui prévoit la création d’une « hotline » de l’Hadopi via laquelle l’abonné destinataire pourra « adresser des observations à la commission de protection des droits ». En principe, le texte doit offrir à l’abonné la possibilité de contester les faits pour lesquels une lettre lui a été envoyée par l’Hadopi. Mais l’amendement n’aménage pas d’obligation de réponse motivée de l’Hadopi. La force juridique de cette faculté de contestation apparaît donc encore très floue. D’autant que le gouvernement a rejeté sur ce même thème d’autres amendements plus précis, qui donnaient la possibilité aux abonnés de contester les recommandations dès l’envoi du premier e-mail avec obligation de réponse, sous peine de nullité de la sanction dans le cas contraire. Christine Albanel a jugé qu’une telle procédure contradictoire pourrait « griper l’ensemble du système voire empêcher son fonctionnement si des milliers d’internautes décident de contester« . Elle a estimé que les lettres d’avertissements, même si elles font courir un délai de récidive pour le déclenchement de la sanction, ne sont pas en elles-mêmes des sanctions qui obligent à la procédure contradictoire. « Ce n’est pas griper le système, c’est rester fidèle aux principes de notre Droit« , a répondu sans succès le sénateur Michel Mercier.
Lors de la reprise des débats, en fin d’après-midi, les sénateurs devront voter pour le principe de la suspension de l’abonnement à Internet souhaité par le gouvernement et par la commission des affaires culturelles, ou choisir la solution alternative des amendes demandée par la commission des affaires économiques. Lors des débats sur la question, l’incompatibilité de la suspension avec l’amendement Bono voté au Parlement Européen n’a été que survolée, pour être immédiatement balayée.
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