Via le message envoyé par une inconnue, j’ai commencé un job censé me permettre de gagner beaucoup d’argent et de réaliser mes rêves. Il s’agissait d’une arnaque — et les tentatives de recrutement sont très nombreuses sur Twitter.

« Bonjour, est-ce que vous cherchez un travail en ligne ? ». L’offre est arrivée via Twitter, dans un message groupé envoyé à 50 personnes. « Nous fournissons un service de croissance des ventes sur Amazon, vous n’avez besoin de travailler qu’une heure par jour pour gagner entre 10 et 200 dollars », indique dans cette annonce une certaine Amy. Une offre alléchante, d’autant plus qu’elle m’assure que « ce travail offre des opportunités d’évolution, et vous permet de réaliser vos rêves ». Pour commencer à travailler, pas besoin de faire une lettre de motivation, ou de passer un entretien d’embauche : il suffit d’envoyer un message sur Telegram à Amy.

Ce n’était pas la première fois que je recevais ce message : entre le mois d’août et le mois de septembre, j’ai eu droit à près d’une quinzaine de messages privés (DM) similaires Twitter, envoyés à chaque fois à un groupe de 50 personnes. Avant Amy, il y a eu Lisa, Joyce, Kim ou encore Cathy qui m’ont contactée, à chaque fois pour me faire la même proposition.

Bien évidemment, il ne s’agissait pas d’une véritable offre d’emploi. Il faut toujours se méfier des personnes inconnues qui envoient des messages en masse sur les réseaux sociaux — ils cachent très souvent des combines pour voler votre argent. Enfin, l’offre d’emploi, rédigée dans un anglais approximatif, était un signe de plus qu’il ne s’agissait pas une réelle opportunité de travail.

Je savais donc à quoi m’en tenir : j’avais devant moi une tentative d’arnaque très répandue. Je ne savais juste pas quelle forme elle allait prendre, ni quels étaient ses rouages et ses mécanismes d’embrigadement. J’ai voulu en avoir le cœur net, pour que cela serve aussi aux internautes qui pourraient se laisser tenter par des promesses d’argent facile. Que se cache-t-il derrière le job de rêve vanté par Amy ? Pour avoir la réponse, je me suis fait passer pour une potentielle victime, et je lui ai envoyé un message sur Telegram. Et j’ai tout de suite été recrutée dans un système pyramidal, basé sur de fausses commandes Amazon et eBay.

Je me suis faite recruter sur Twitter // Source : Montage Numerama
Je me suis fait recruter sur Twitter. // Source : Montage Numerama

« Tu travailles pour moi »

Mon nouveau job commence immédiatement. Amy m’explique que le travail consiste à « traiter des commandes de groupes et aider les vendeurs sur les marketplace d’Amazon, eBay, Shopee, Wish et Mercado à augmenter leur popularité ». Cela ne veut rien dire, mais malgré mes demandes, Amy ne m’en dira jamais plus.

Tout doit se faire sur un site reprenant la charte graphique d’Amazon, mais usurpant le nom d’eBay: je dois m’inscrire sur… Eaby. Mes tâches sont très simples : je dois simplement cliquer sur un bouton, le site m’attribue une commande effectuée sur Amazon ou un autre site, et je dois cliquer à nouveau sur un bouton pour la confirmer. Après ce travail éreintant, je touche une commission de 0,18 % du prix de la commande. Je ne peux en valider que 40 par jour, pour une raison que j’ignore et qu’Amy ne m’expliquera jamais.

Dur de ce faire de l'argent avec ce travail // Source : Canva
Dur de se faire de l’argent avec ce travail. // Source : Canva

Il y a cependant un piège : avant que je puisse commencer à travailler, je dois mettre de l’argent sur mon compte. Cela n’est pas très logique, mais Amy m’explique pourtant que c’est tout à fait normal : pour avoir accès à de plus grosses commandes, et donc avoir une plus grosse commission, je dois d’abord dépenser. Je pense que l’argument ne tiendrait pas vraiment aux prud’hommes, mais soit, je joue le jeu. Le compte doit être approvisionné avec une crypto-monnaie : l’USDT, une stablecoin indexée sur le dollar. La somme minimum à fournir pour commencer à travailler est de 15 USDT.

Dernière déconvenue : Amy m’explique que, contrairement à ce que je croyais, je ne vais pas être ma propre patronne : « tu travailles pour moi », décide-t-elle par message. Comme elle m’a parrainée lors de mon inscription sur Eaby, je dois valider les commandes qu’elle reçoit sur son compte avant de pouvoir travailler sur le mien. Je toucherai cependant une petite partie de ses commissions, comme elle en touchera sur les miennes. Je commence à me dire que ce n’est peut-être pas un arrangement qui joue en ma faveur.

Une journée de travail pour 1,2 USDT

Je commence à travailler sur le compte d’Amy tout de suite : elle a heureusement approvisionné le sien en USDT, ce qui me permet d’effectuer mes premières tâches sans avoir à débourser d’argent. Les commandes que je dois valider coûtent en général aux alentours de 300 dollars, ce qui fait qu’Amy touche une commission de 0,50 dollar en moyenne. Au bout de 40 commandes validées, j’ai gagné une vingtaine d’USDT pour ma nouvelle cheffe.

Une fois cette partie terminée, je vais sur mon compte, mais malheureusement, je n’ai pas gagné assez avec les commissions de commissions pour travailler. C’est le moment où je devrais, logiquement, acheter des USDT pour remplir mon compte — mais je me méfie, et je n’ai pas vraiment envie de faire un virement à un compte obscur.

Je ne suis pas vraiment sûre que ce job soit un bon plan // Source : Canva
Je ne suis pas vraiment sûre que ce job soit un bon plan. // Source : Canva

Pour pouvoir commencer à gagner mon propre argent, je dois donc à nouveau travailler pour Amy le lendemain. Lorsque j’arrive à accumuler 15 USDT, je commence le travail sur mon compte, mais je gagne beaucoup moins d’argent qu’avec Amy. Les commandes que je dois traiter sont beaucoup plus petites : elles coûtent en moyenne 20 dollars. Dès lors, chacune me rapporte autour de 0,03 dollar. Au bout de 40 commandes, j’ai gagné 1,2 USDT. Pas incroyable comme salaire. Surtout, je ne peux pas empocher tout de suite ma mise : je dois attendre d’avoir 20 USDT pour retirer l’argent.

Le 3e jour, lorsque j’essaie de me connecter, surprise : Google m’indique que le site n’est plus accessible. Le compte Telegram d’Amy a également été supprimé. Jamais je ne reverrai mon argent — mais au moins, je n’ai pas approvisionné mon compte avec mes propres deniers.

Le compte Telegram d'Amy et le site ont été supprimés // Source : Numerama
Le compte Telegram d’Amy et le site ont été supprimés. // Source : Numerama

Un système pyramidal particulièrement complexe

Comme je m’en doutais depuis le début, il ne s’agissait pas d’un vrai job, mais d’une arnaque plutôt complexe. Même si le site n’était pas très bien construit, et que je devais faire un faux job, l’escroquerie n’était pas un simple phishing. Pour Jean-Baptiste Boisseau, le fondateur du site Signal Arnaque, aucun doute n’existe : j’ai eu affaire à un système pyramidal.

Les ventes pyramidales, aussi connues sous le nom de système de Ponzi, sont des escroqueries pratiquées depuis des années, bien qu’elles soient interdites par l’article L121-15 du Code de la consommation. « Leur fonctionnement se base sur le recrutement de nouveaux membres-donateurs, plus que sur une réelle activité de vente de biens ou de services », indique la page Wikipédia dédiée au phénomène.

C’est exactement ce qu’il m’est arrivé : à travers ses messages sur Twitter et avec la promesse de gains rapides, Amy essayait de recruter le plus de nouveaux membres possible, qui auraient dû à leur tour trouver de nouvelles personnes pour rembourser leurs dépenses. Tout le système alimentait les personnes situées au-dessus dans la pyramide. Le site et le job incitaient en plus à dépenser beaucoup d’argent avant de pouvoir en gagner à son tour : le compte d’Amy était approvisionné avec plus de 500 USDT, et elle m’a poussé à en faire de même. Je doute fort avoir pu un jour récupérer l’argent que j’aurais envoyé au site.

Les commandes que j'ai dû valider n'étaient pas réelles // Source : Numerama / Canva
Les commandes que j’ai dû valider n’étaient pas réelles. // Source : Numerama / Canva

Sans surprise, les commandes que j’ai traitées n’étaient pas réelles. « C’est quelque chose d’assez typique des systèmes pyramidaux : on va vous donner des tâches bidons à effectuer, pour rendre la structure plus crédible », explique Jean-Baptiste Boisseau. « On a vu des pyramides où on demandait aux victimes de liker des vidéos, par exemple. »

« Ce genre d’arnaque marche bien sur Facebook et WhatsApp, parce qu’on y trouve assez facilement des gens qui sont intéressés par ce type de travail à domicile », continue Jean-Baptistes Boisseau. Le nombre de systèmes pyramidaux a explosé depuis l’arrivée des réseaux sociaux : il est devenu extrêmement facile de trouver de nouvelles victimes. Plus besoin de se déplacer pour faire de la vente en porte-à-porte : il suffit de quelques DM envoyés sur Twitter.

Quelques heures après la fermeture de Eaby, j’ai reçu un nouveau DM sur Twitter, de la part cette fois de Lilima. Il s’agissait exactement du même message de recrutement, et sa photo sur Telegram était la même que celle d’Amy. Elle me proposait de travailler pour un nouveau site, « app-e.order », une copie conforme de celui d’Eaby. L’arnaque a certainement encore de beaux jours devant elle.

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