Des moments de stress, des larmes, de la tension et une ambiance explosive sur place… Qu’on aime ou non les voitures, le job est réussi. Le GP Explorer, course automobile organisée entre 22 influenceurs le 8 octobre, a mis des étoiles dans les yeux de ses millions de spectateurs. On en vient même à se dire une fois le rideau baissé que cette course ressemblait quand même beaucoup à quelque chose qu’on aurait pu voir à la télévision. Ce n’est clairement pas anodin, tant les moyens déployés et le succès de l’événement se rapprochent de l’ampleur d’un événement télévisé.
1 million de téléspectateurs un samedi à 17 heures
S’il s’agissait effectivement du premier événement de cette ampleur organisé par Squeezie sur Twitch, rien n’a été laissé au hasard. Les équipes du vidéaste, en partenariat avec le circuit, ont fait appel à une régie de télévision. AMP Visual TV, spécialisée dans la couverture de compétitions sportives à la télé, s’est chargée de la réalisation de l’événement. Olivier Denis, le réalisateur des 24 Heures du Mans, était aux commandes et communiquait avec les deux cent commissaires de piste pour ne rien laisser passer.
C’est simple : il n’y avait pas un angle qui échappait aux caméras placées tout autour du circuit, sur des voitures mobiles et même à l’intérieur des monoplaces pilotées par les pilotes. On pouvait tout voir. Et même si on ratait quelque chose, des ralentis et des plans des coulisses revenaient sur chacune des actions des pilotes et la réaction de leurs proches dans les stands. Quelqu’un qui ne connaît pas forcément les influenceurs présents sur place peut tout à fait suivre la course, en ayant juste l’impression de suivre de la F1.
C’est peut être cette accessibilité et cette technique parfaite qui expliquent en partie le succès du GP Explorer de Squeezie, et tous ces records battus. À quelques minutes de la course, ce sont plus de 500 000 personnes qui regardaient l’événement sur Twitch. Puis 750 000 à peine quelques minutes plus tard, battant ainsi le record détenu par Zerator lors du ZEvent 2021. Puis 900 000, très rapidement après. Puis, enfin, la barre du million. Un million de spectateurs sur Twitch un samedi à 17 heures, pour la première fois sur une chaîne francophone, les records mondiaux étant détenus par des vidéastes anglophones ou hispanophones. C’est plus que certaines chaînes de télévision à des plages de grande audience. Les spectateurs uniques sur toute la journée se comptent en millions. C’est même plus que TF1 à la même heure, la semaine d’avant. Un succès fou pour un événement d’une dizaine d’heures, et une phénoménale réussite pour Squeezie et ses équipes.
Un format très télévisé, un peu trop passif
Si on a l’habitude de regarder des lives Twitch, suivre le GP Explorer était un peu différent. Les milliers d’abonnements et les centaines de milliers de messages qui défilaient dans le chat ont rendu la communication compliquée et, même en mode lent, la modération et les commentateurs avaient du mal à faire remonter les messages du chat. Au bout d’un moment, il nous a fallu nous résoudre à ne pas pouvoir lire les messages des spectateurs, parce que l’événement était juste trop gros. La réalisation du GP Explorer était passive. On le regarde, mais on n’interagit pas. À quelques sondages près.
La filiation avec la télévision est aussi marquée par la présence de nombreuses personnalités du milieu, de Jamel Debbouze à Julien Fébreau, commentateur officiel de Formule 1 sur Canal+. Jean-Louis Moncet, journaliste sportif spécialisé dans la discipline, a lui aussi eu droit à son apparition face caméra, comme quelques pilotes professionnels présents dans le public.
C’est là que le GP Explorer jongle entre deux visions : celle d’un live Twitch et celle d’une émission dantesque aux moyens colossaux. Tout était présenté, commenté, réalisé et animé presque exactement comme la télévision, et pas toujours avec la proximité et la spontanéité qui caractérisent l’usage traditionnel de Twitch. On en voit d’ailleurs par moments les limites, quand des moments « très Twitch », des interviews parfois un peu gênantes ou des interventions viennent ponctuer le déroulement de la journée, ou que les rares interactions avec le chat se résument à une course au record d’audience, en disant aux spectateurs « d’appeler leur oncle, leur tante et leurs cousins pour regarder l’événement sur tous les supports possibles et faire péter le million ». Pour les animateurs, il était important de rallier les spectateurs autour d’un but commun, et de renforcer le sentiment d’appartenance à « un événement historique » en partant à la course aux records.
C’est aussi ce qui caractérisait ce GP Explorer : la réussite du format doit beaucoup à l’héritage de la télévision et aux codes qui entourent les compétitions de sport mécanique. Les vrais moments de spectacle, la tension et la mise en scène qui sont au cœur d’une journée comme celle-ci auraient parfaitement être pu diffuser sur une chaîne de télévision. Les autres moments, un peu plus creux, parfois poussifs, essayaient tant bien que mal de faire rentrer de l’interactivité dans un format calibré pour la télévision. Difficile de vouloir porter les deux casquettes en même temps. Au final, Twitch n’est plus le centre du format mais devient un outil de diffusion comme un autre, exactement comme on allumerait sa télé pour regarder la F1.
Jamel Debbouze reconnaîtra le sérieux de l’événement, en disant à l’animateur Doigby que les streamers « sont des inventeurs de fou, et qu’ils auraient dû être là avant ». La réponse de l’animateur laisse d’ailleurs peu de place à l’équivoque : « Pas du tout Jamel, c’est au contraire nous qui te remercions. On est la continuité de ce que vous avez fait, vous avez changé les codes et montré qu’on pouvait se faire plaisir en faisant plaisir. On a juste repris ce que vous avez fait à la télévision pour le faire tous les jours. On est un peu des nains sur des épaules de géants, et c’est vous les géants. On n’a juste pas les mêmes outils. »
C’est un parallèle qu’il est intéressant de dresser à l’issue d’une course comme celle-ci. Le GP Explorer assoit aussi la volonté des plus gros influenceurs de toucher à l’événementiel, comme ZeratoR et ses nombreux marathons, l’arrivée des vidéastes comme Prime ou McFly et Carlito dans des grandes salles de concert, et même l’organisation d’un événement comme le Popcorn Festival dans la ville de Montcuq. Pour le GP Explorer, cela représente un coût encore jamais vu sur une plateforme comme Twitch. Dans une interview accordée à Interlude, Squeezie parle d’une course qui aurait coûté « entre 2,5 et 3 millions d’euros ». La simple formation d’un pilote par la FFSA pendant cinq jours coûte un peu moins de 90 000 euros, ce qui représente un million et demi d’euros pour l’ensemble des vingt-deux participants. S’ajoutent à cela les frais de réalisation, le paiement des équipes, et une multitude de coûts annexes qu’il semble donc normal, voire carrément nécessaire, de rembourser au moins partiellement par l’omniprésence de sponsors.
Durant toute la journée, on a pu entendre des vidéastes et des visiteurs sur place rappeler qu’ils vivaient « quelque chose d’historique », et que « c’est fou de voir ça sur Twitch ». Tous s’enthousiasmaient de faire partie de ce moment, et font taire les quelques critiques d’internautes qui s’étonnent par exemple de voir autant d’influenceurs s’amuser autour d’une course sur circuit après un ZEvent défendant la cause écologique. Mais dans un flot de messages inondant en permanence les réseaux sociaux, le positif a rapidement tendance à faire oublier le négatif.
Le GP Explorer nous a dans tous les cas offert de beaux moments et une couverture professionnelle du sport automobile, c’est vrai. On a pris un plaisir fou à suivre la course, que l’on soit pour les voitures ou pour les influenceurs présents. Mais quand on le regarde d’un peu plus loin, on réalise aussi que ce sont les formats les plus télévisuels qui rallient le plus de monde sur la plateforme.
La comparaison avec la télévision avait peut-être encore du sens il y a cinq ou dix ans, quand les grands pontes de la télévision voyaient encore les streamers comme des « gens qui jouent à des jeux vidéo en slip » mais, aujourd’hui, Twitch n’a plus grand chose à envier à la télévision. Les sommes mises en jeu lors d’événements comme celui-ci peuvent surpasser celles dépensées pour la réalisation de formats télévisés, et les masses de spectateurs parviennent à être égales, sinon plus grandes, que certaines émissions TV. Aujourd’hui, aussi belle soit la métaphore utilisée par Doigby en réponse à Jamel, les streamers ne sont plus des nains. Ils ont tout des géants. Le domaine de l’influence n’est plus un milieu de niche, et beaucoup d’influenceurs incarnent aujourd’hui ce que des stars de la télévision représentent depuis des dizaines d’années. Et nous n’en sommes sûrement qu’au début (une nouvelle édition a été annoncée depuis).
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