Fin du suspense. L’amendement 138 anti-riposte graduée que 88 % des députés du Parlement Européen avaient adopté a été rejeté jeudi par le Conseil des ministres de l’Union Européenne, présidée par la France. Il devrait faire son retour lors de la seconde lecture du texte au Parlement au premier trimestre 2009, mais probablement après le vote de la loi Création et Internet à l’Assemblée Nationale, prévu pour le début de l’année.
« Les citoyens doivent savoir comment fonctionne l’Europe. Ce n’est pas le Parlement européen ni la Commission qui sont éloignés du peuple mais le Conseil qui privilégie les petits arrangements entre amis pour favoriser les intérêts de certains au détriment de l’intérêt général« , regrette le député Guy Bono, à l’origine de l’amendement 138. « Le Conseil, à l’image de Nicolas Sarkozy, donne une piètre image de la démocratie européenne« .
L’eurodéputé souligne « les contradictions de la Présidence française qui dans plusieurs déclarations avait annoncé que cet amendement ne constituait qu’un rappel du droit existant et qui dans le même temps à mis tous les moyens en œuvre pour obtenir sa suppression lors du Conseil« . Guy Bono a prévenu qu’il redéposerait l’amendement en seconde lecture avec Daniel Cohn-Bendit, également engagé dans le combat contre la riposte graduée.
La victoire de Nicolas Sarkozy au niveau européen n’est cependant pas totale. La Commission Européenne, qui avait déjà décidé de soutenir l’amendement 138, a fait part cette semaine de ses observations à la France sur le projet de loi Création et Internet. « Toute mesure allant au-delà de l’information, de l’éducation et de la sensibilisation, telle que le filtrage du contenu des communications électroniques ou la suspension de l’accès au réseau pour les utilisateurs dont l’accès à internet n’est pas sécurisé et qui ouvre ainsi la voie à des atteintes au droit d’auteur, nécessite de trouver le juste équilibre entre le besoin de combattre le piratage en ligne et d’autres objectifs importants« , note la Commission. « Des mesures d’intervention sur les flux de contenus dans les réseaux informatiques devraient être traitées avec beaucoup de précaution afin d’éviter des conséquences négatives sur la vie privée et la liberté de l’information des utilisateurs d’internet en Europe« .
Bruxelles suggère de brider plutôt que de suspendre l’accès à Internet
Plus spécifiquement sur la suspension de l’abonnement à Internet, la Commision note que « la réalité de l’utilisation actuelle d’internet dépasse largement l’accès aux contenus« , avec notamment l’accès aux services administratifs ou bancaires, et qu’une « interruption totale de l’accès à internet rendrait impossibles tous ces services« .
La Commission rappelle que « si, dans le cas présent, le respect du droit d’auteur constitue bien un objectif d’intérêt général, il reste que les mesures nationales concernées, pour être conformes au droit communautaire, doivent être nécessaires et proportionnées à l’objectif« . Elle propose d’étudier la possibilité de « restreindre uniquement l’accès par un abonné responsable à l’internet à haut débit, sans empêcher un accès à bas débit« .
« Une telle typologie de sanction pourrait en effet être de nature à atteindre l’objectif spécifiquement visé de rendre impossible ou en tout cas extrêmement lent et pratiquement irréalisable ou inoffensif le téléchargement pirate d’œuvres protégées, sans infirmer la possibilité d’accès à d’autres activités (d’information, de communication, de gestion administrative, etc.) sur internet.«
Bruxelles estime par ailleurs qu’il faut tenir compte « du fait que les infractions en cause sont actuellement déjà sujettes à des sanctions pénales impliquant des amendes élevées et des peines d’emprisonnement« . Or, « le projet lui-même ne prévoit aucune disposition empêchant les représentants des ayants droit de s’adresser tant à la Haute Autorité qu’à la juridiction pénale« . « En outre, ajoute-t-elle, le projet notifié ne prévoit pas non plus que, lorsque la Haute Autorité est saisie, toute action pénale ne devrait être entreprise qu’après expiration de la procédure administrative au risque dès lors de voir deux actions, l’une administrative et l’autre pénale, être introduites en parallèle« .
Le respect du droit fondamental à un procès équitable
Tapant là où le bât blesse, la Commission fait remarquer à la France que « la question se pose de savoir comment est justifié le fait qu’un organe administratif (la Haute autorité) et non un organe judiciaire dispose du pouvoir de décider s’il y aurait violation ou non d’un droit d’auteur ou droit voisin. »
Bruxelles estime à ce propos que « le fait que les recommandations envoyées aux abonnés de manière systématique ne soient pas sujettes à recours pourrait mettre en danger le droit fondamental à un procès équitable« . La Commission fustige en effet l’absence de possibilité de contester la matérialité des preuves avant toute sanction.
« L’abonné victime d’une erreur matérielle pourrait se voir imposer une suspension sans avoir la possibilité de faire valoir sa position à défaut de voie de recours et de procédure contradictoire (sans oublier le renversement de la charge de la preuve)« , écrit la Commission, qui rappelle que « les décisions au fond devraient exclusivement s’appuyer sur des éléments de preuve sur lesquels les parties ont eu la possibilité de se faire entendre« .
Enfin, elle demande à ce que la liste des filtres que devra labelliser l’Hadopi soit placée sous le contrôle de Bruxelles.
La France devra obligatoirement prendre en considération les remarques émises par la Commission et répondre aux nombreuses interrogations de Bruxelles avant de faire adopter le projet de loi Création et Internet à l’Assemblée Nationale. Le délai induit pourrait fortement retarder l’adoption définitive du texte, et laisser le temps au Parlement Européen de re-voter l’amendement 138. Le suspense continue.
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