Plusieurs youtubeurs français connus ont été accusés de faits allant du harcèlement sexuel au viol, en passant par la corruption de mineurs. YouTube dispose d’outils pour réagir. La plateforme, tiraillée entre plusieurs injonctions contradictoires, brandit des règles universelles pour justifier ses décisions au cas par cas.

La nouvelle s’est répandue comme une trainée de poudre dans l’univers du YouTube français : Norman Thavaud, le célèbre vidéaste, a été placé en garde à vue pour des accusations de viol et de corruption de mineurs le 5 décembre 2022. La garde à vue a été prolongée le lendemain. La procédure fait mention de « six plaignantes » et d’une enquête ouverte en janvier, soit onze mois plus tôt.

Sur YouTube, Norman est probablement l’une des plus grandes références en France, avec ses 11,9 millions d’abonnés et sa chaîne active depuis douze ans. La plateforme vidéo qui appartient à Google est indissociable de l’activité de l’humoriste, qui s’est fait connaitre grâce à elle, et dont il tire une partie de ses revenus depuis une décennie.

Interrogée par Médiapart, YouTube France aurait expliqué ne pas exclure de « prendre des mesures » dans le cas où « le comportement d’un créateur, sur YouTube ou en dehors, nuit à [leurs] utilisateurs, à [leur] communauté, à [leurs] employés ou à [leur] écosystème ». Néanmoins, cette réponse fait partie des réactions habituelles de la plateforme : elle ne cible pas de vidéaste en particulier et ne garantit aucune action concrète. De facto, YouTube n’est, en effet, jamais contraint d’expliquer publiquement une de ses décisions.

YouTube a déjà des règles pour sanctionner des youtubeurs pour des comportements hors ligne

Officiellement, voici la réponse que YouTube fournit : « Nous considérons le harcèlement sexuel, sous toutes ses formes, comme inacceptable. Si un contenu inapproprié est signalé sur YouTube, nous supprimons la vidéo et/ou les commentaires. Conformément à notre règlement, nous pouvons aussi clôturer les comptes concernés. Pour des comportements en dehors de notre plateforme, nous conseillons fortement aux victimes de se manifester auprès des autorités policières ou judiciaires compétentes », indique le communiqué fourni à Numerama.

La plateforme dispose d’une page spécifique officielle qui définit ce qu’elle appelle la responsabilité des créateurs, qui fait mention du comportement des vidéastes hors de son site. C’est cette page qui, pour le cas de Norman Thavaud, nous intéresse. Elle résume bien les cas dans lesquels YouTube peut se saisir : « Certains comportements sur la plate-forme et ailleurs peuvent également être considérés comme inappropriés et entraîner des sanctions ». Parmi les exemples, on trouve la « participation à des actes abusifs, violents ou cruels ».

Ces règles ne sont pas spécifiques à la France ; il existe même une vidéo en anglais publiée en 2021 par YouTube qui en résume les grandes lignes.

Les règles concernant la "Responsabilité des créateurs" // Source : Google/YouTube
Les règles concernant la « Responsabilité des créateurs ». // Source : Google/YouTube

Norman Thavaud est accusé de viol et de corruption de mineurs par plusieurs femmes — des faits de nature criminelle qui sont sévèrement punis par la loi. YouTube France s’est donc saisi, comme l’a confirmé la plateforme à Numerama, pour analyser la situation afin de déterminer si, selon ses règles d’utilisation, elle avait matière à agir.

Comme l’a bien expliqué Médiapart, la plateforme de vidéos peut recourir à différentes sanctions, plus ou moins sévères :

  • Démonétiser les vidéos du youtubeur (il ne pourra plus gagner d’argent avec de la publicité sur ses contenus)
  • Exclusion du programme partenaire de YouTube
  • Décider de déréférencer la chaîne YouTube et les vidéos du youtubeur — elles ne pourront plus être trouvées en passant par la barre de recherche de YouTube, mais resteront visionnables par un lien direct, ou en utilisant Google.
  • Supprimer sa chaîne YouTube

Quand YouTube décide-t-il d’agir ?

La grande question est de savoir à quel moment la plateforme décide d’ouvrir une enquête interne pour décider s’il y a des raisons d’agir — tout en ne se « substituant pas à la justice », comme le rappelle souvent YouTube.

Le cas de Norman Thavaud est similaire à d’autres youtubeurs, qui ont été accusés, ces dernières années, de faits de harcèlement, agressions ou corruption de mineurs. En 2020, Numerama publiait une grande enquête, à l’époque inédite dans le paysage YouTube français, révélant les accusations d’une dizaine de fans du youtubeur Baptiste Mortier-Dumont, alias ExperimentBoy, qu’il aurait ciblés entre 2013 et 2019. Plusieurs plaintes pour corruption de mineurs ont été déposées à son encontre. Après nos révélations, la plateforme avait décidé de démonétiser toutes les vidéos du vidéaste.

Baptiste Mortier-Dumont en mars 2020 // Source : YouTube/Experimentboy
Baptiste Mortier-Dumont en mars 2020. // Source : YouTube/Experimentboy

Plus récemment, c’est le youtubeur Léo Grasset de la chaîne DirtyBiology qui a été mis en cause par plusieurs femmes, avant qu’une femme ne porte plainte pour viol fin novembre 2022. À ce jour, YouTube n’a pas pris de décision concernant la chaîne à 1,2 million d’abonnés.

En 2020, alors que Numerama préparait une enquête sur le sujet, YouTube avait en revanche décidé de supprimer la chaîne du polémiste Dieudonné, accusé de publier des contenus qui incitent à la haine. Contrairement aux agissements supposés de Norman, Léo Grasset ou Baptiste Mortier-Dumont, la réponse de YouTube aux contenus de Dieudonné s’est faite en réaction de publications hébergées directement sur la plateforme — ce qui permettait probablement plus facilement à la firme de justifier sa décision.

Pour le cas des trois autres youtubeurs, il s’agit de comportements présumés qui auraient eu lieu en dehors du service de vidéo en ligne. ExperimentBoy ne publie plus de vidéos sur YouTube depuis nos révélations. Léo Grasset a quant à lui cessé de diffuser des vidéos pendant 5 mois, avant de recommencer à en publier fin novembre 2022 — une en « réponse à Médiapart », puis une seconde, plus classique, sur l’intelligence artificielle. La dernière vidéo de Norman, elle, date d’il y a onze jours, avant sa garde à vue.

Au vu du nombre d’affaires qui éclatent aujourd’hui dans l’univers du YouTube français, le service de Google risque d’être de plus en plus contraint de faire des choix, pour « protéger ses utilisateurs et sa communauté », comme ses règles d’utilisation l’indiquent.

Mise à jour du 7 décembre 2022 : Cet article a été modifié après une précision importante de YouTube : les vidéos du youtubeur ExperimentBoy ont bien été démonétisées à la suite de nos révélations en 2022. Il a également été exclu du Programme Partenaire YouTube. Il n’y est pas revenu depuis.

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