« Je lui ai dit plein de fois non, mais il a continué à m’embrasser. » Iris* raconte avoir été victime d’une agression sexuelle de la part de Victor Bonnefoy, plus connu sur YouTube sous le nom d’Inthepanda. Les faits se seraient déroulés en septembre 2022. Mais Iris ne serait pas la seule.
D’autres personnes, interrogées par Numerama et mineures au moment des faits, racontent qu’elles auraient envoyé des photos dénudées au youtubeur, à sa demande. Les plus jeunes avaient 13 ans. Une autre témoin nous a rapporté des faits caractérisés de viol par la loi.
Nous avons recueilli de nombreux témoignages faisant état de faits graves qui auraient eu lieu entre 2014 et 2022. Alors que les premières histoires ont été rendues publiques dès 2016, marques, médias et festivals ont continué à accueillir le youtubeur spécialisé dans le cinéma, aux 300 000 abonnés, à bras ouverts pendant 6 ans. Lui offrant des rôles prestigieux et lui permettant de continuer à produire ses vidéos, ses livres et ses podcasts.
Depuis 2020, date à laquelle de nombreuses personnes ont pris la parole sur Twitter pour dénoncer les actes de certains youtubeurs avec le hashtag #BalanceTonYouTubeur, Numerama a réalisé près d’une vingtaine d’interviews avec des victimes présumées et témoins. Ces entretiens peignent tous le même portrait : celui d’un youtubeur influent, ayant une forte emprise sur sa communauté de fans et sur ses proches ; d’une personnalité consciente de sa notoriété, qui aurait profité de son statut pour obtenir des photos dénudées de ses abonnées et qui aurait abusé de certaines de ses partenaires sexuelles. Le portrait d’un homme qui refuserait d’entendre « non ».
La réponse de Victor Bonnefoy
Nous avons envoyé une liste de questions à Victor Bonnefoy et lui avons proposé de nous entretenir avec lui avant publication de cette enquête. Le youtubeur nous a répondu par le biais de son avocate. « En réponse à vos questions, celui-ci conteste fermement avoir commis la moindre infraction à caractère sexuel, que ce soit à l’encontre de majeur-e-s ou de mineur-e-s », nous a-t-elle indiqué. Victor Bonnefoy est présumé innocent.
Une agression présumée en septembre 2022
Iris a connu Victor en 2015, par le biais de ses vidéos. Fan de son travail, elle finit par le rencontrer six ans plus tard, en mai 2022, lorsqu’un ami commun l’invite à une soirée où le youtubeur est également présent. Ils font connaissance, s’entendent bien et Victor commence à la suivre sur les réseaux sociaux.
Elle n’a l’occasion de revoir le youtubeur que quelques mois après, en septembre 2022, lors d’un festival de cinéma très couru. Victor offre la possibilité à Iris d’y aller avec lui et l’équipe de son podcast, appelé Pardon Le Cinéma. Il propose même à Iris d’être hébergée gratuitement : un des membres de l’équipe ne peut finalement pas venir, sa chambre est donc inoccupée.
Iris hésite. « J’ai demandé à des amis ce qu’ils pensaient de la proposition, je voulais savoir si c’était normal, si ça n’était pas déplacé. Tout le monde m’a rassurée en me disant que c’était normal. Alors, j’ai dit oui. »
Louis*, l’un des amis auxquels Iris demande conseil, est également un proche de Victor. Il confirme à Numerama ses hésitations. « Iris m’a demandé si je devais suspecter Victor, et je lui ai dit qu’il n’y avait pas de souci. Je pensais qu’il voulait lui proposer une collaboration, tisser des liens. Je n’imaginais pas du tout qu’il serait capable d’agresser une femme en soirée. J’ai dit à Iris d’y aller », confie-t-il. « Je m’en veux de ne pas avoir été prévenant avec elle. »
Le groupe fait la fête le soir. Lorsqu’elle part, vers 3h du matin, Iris est raccompagnée à l’hôtel par Victor. Ce n’est qu’une fois arrivés devant leurs chambres qu’Iris aurait senti l’ambiance changer. « Il me dit qu’il a oublié sa carte d’hôtel, et il me demande s’il peut venir dans ma chambre passer le temps. Je le préviens tout de suite qu’il ne va rien se passer entre nous. On rentre dans ma chambre, et au bout de 2 minutes, il me saute dessus. Il m’embrasse, et même si je dis non, il essaie de me convaincre de coucher avec lui de manière très lourde. »
« Il était vraiment sur moi, je n’arrivais pas à bouger. C’était très malsain, parce que je l’admire, mais je ne voulais pas du tout que cette soirée prenne cette tournure-là. J’ai senti qu’il pouvait vriller. J’ai vu dans son regard un truc qui changeait, et ses gestes sont devenus plus fermes. Ce n’est qu’au bout de quelques minutes que j’ai réussi à le pousser, et à le virer de ma chambre. Il a fini par partir en râlant très fort, vexé, en disant que j’étais folle », déclare-t-elle à Numerama.
Par la suite, Victor serait revenu toquer deux fois à sa porte cette nuit, et lui aurait demandé à plusieurs reprises si elle était bien sûr de ne pas vouloir coucher avec lui. « J’ai eu peur », nous confie aujourd’hui Iris. « J’avais entendu de loin les histoires d’accusation de viol, sur les réseaux sociaux et par un proche. Je n’y avais pas cru avant, mais à ce moment-là, je me suis dit “c’est sûr, c’est vrai”. »
Iris parle de son histoire le lendemain soir à des amis proches, après être partie du festival. Louis confirme : « Dès le lendemain, elle m’a écrit pour me dire que la soirée était cool, mais qu’il s’était passé un truc “bizarre” de drague lourde, et elle m’a tout raconté. »
Selon la loi, embrasser une personne sans consentement et sous la contrainte constitue une agression sexuelle : il s’agit d’un délit, passible de cinq ans d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amende.
Inthepanda, un influent vidéaste des débuts du YouTube français
L’histoire d’Iris n’avait, jusqu’à présent, jamais été racontée publiquement. Mais son agression a cependant été ébruitée dans le milieu très fermé des vidéastes. Début novembre 2022, de nombreuses réactions se sont fait entendre. Le média Sens Critique, pour qui Victor était jusque-là chroniqueur, a arrêté leur collaboration. Le cinéma du Club de l’Étoile, chez qui le youtubeur devait organiser un festival, a annulé. Enfin, certains anciens proches collaborateurs de Victor ainsi que des membres de l’équipe de son podcast, Pardon Le Cinéma, ont pris leurs distances.
Leurs messages, publiés sur Twitter, ont donné lieu à une nouvelle vague de témoignages, cette fois-ci, aux conséquences directes. Car depuis des années, des déclarations de victimes présumées de Victor étaient publiées à intervalles réguliers sur le réseau social. Mais jusque-là, Victor Bonnefoy n’avait jamais été inquiété.
Inthepanda n’est pas aussi connu que d’autres youtubeurs français, même s’il fait partie de la « première vague » des vidéastes, en ayant commencé en 2012. Sa chaîne est tout de même forte de plus de 300 000 abonnés, et il a fait partie des premiers Français de la plateforme à se spécialiser dans le cinéma. Il bénéficie, de plus, d’une grande influence dans le milieu YouTube grâce à des collaborations avec des poids lourds du secteur, dont Mathieu Sommet, François Theurel et Antoine Daniel.
Les conventions, lieu de rencontre avec ses fans
Victor Bonnefoy a des fans extrêmement dévoués, nourris par la proximité qu’il entretient avec eux. Il l’a notamment beaucoup cultivée lors de conventions, ces salons dans lesquels sont invités youtubeurs et artistes. C’est lors de ces événements, alors que d’autres vidéastes semblent inaccessibles, qu’Inthepanda a le plus côtoyé ses fans. « Victor venait faire ses pauses clopes avec nous, il nous faisait la bise », se souvient Manon*, qui l’a croisé plusieurs fois. « Il y a quelque chose qui est attirant chez lui, il a un vrai charisme », raconte aussi Elvire*. « Quand on le voit, on se dit “c’est un mec sympa, il a l’air hyper cool”, et c’est le piège. On a envie de le croire et de lui faire confiance. »
Mais c’est aussi pendant l’une de ces conventions qu’une agression aurait eu lieu. Noa* a rencontré Victor lors de la Cavicon de Nantes, en 2015. Noa, qui a alors 14 ans, n’avait pas encore fait son coming-out trans, et se genrait au féminin. Il était accompagné de ses parents et d’une amie à lui. Après être passé une première fois avec sa famille, Noa retourne sur le stand d’Inthepanda, sans ses parents. « À l’époque, la mode, c’était les dédiboob », décrit-il aujourd’hui au téléphone.
« J’ai eu hyper honte à ce moment-là, je ne me sentais pas bien du tout »
La pratique consistait pour les youtubeurs à signer leur nom sur la poitrine de leurs admirateurs. « Victor était fan de ça, et il en faisait beaucoup », se souvient Noa. Victor aurait détaché la robe de Noa sans attendre son approbation, signé sur sa poitrine et fait l’éloge de ses seins avant de s’exclamer en criant : « C’est pour ça qu’on fait vidéaste, pour voir les poitrines de fans », raconte Noa.
« J’ai eu hyper honte à ce moment-là, je ne me sentais pas bien du tout », confie Noa aujourd’hui. Le youtubeur aurait pourtant été conscient de son âge : Noa lui aurait dit qu’il était âgé de 14 ans, suit à quoi il aurait simplement répondu : « Oh, ça va ». Victor Bonnefoy avait 21 ans.
Des demandes de photos dénudées pendant des lives
En dehors des conventions, c’est sur Twitter que sa communauté est la plus dynamique. Entre 2014 et 2016, Victor et ses fans échangent beaucoup sur le réseau social. C’est également là qu’il organise ses lives. Jusqu’à plusieurs fois par semaine, Victor lance des streams Twitcam, lors desquels ses fans peuvent interagir avec lui et lui envoyer des messages.
« Pour des jeunes souvent mal dans leur peau, se faire remarquer par quelqu’un qu’on admire autant, ça fait tomber beaucoup de barrières »
Manon*
Lors de ses directs, Victor se livre, parle des films qu’il a vus, et interagit en direct avec ses fans. « Lorsqu’on arrivait, il nous accueillait en disant nos noms comme si on était de vieux amis. Il faisait attention à nous, il nous complimentait. Pour des jeunes souvent mal dans leur peau, se faire remarquer par quelqu’un qu’on admire autant, forcément ça fait tomber beaucoup de barrières », se souvient Manon*. Mehdi se rappelle quant à lui que « les lives étaient en général le soir. Il faisait ça en mode radio libre, en répondant à des questions posées par ses fans, parfois sur des sujets très intimes, comme sur l’auto-mutilation. Il instaurait une ambiance de confiance. »
Il y aurait aussi nourri une ambiance sexualisée. « Entre deux questions sur les scarifications ou sur un sujet très grave, Victor envoyait son Snap aux gens, et leur disait de lui envoyer des nudes [des photos dénudées, ndlr] », continue Mehdi. Plus de 10 témoins que Numerama a interrogés s’accordent sur ce point, dont un ancien proche de Victor, qui a depuis coupé les liens avec le youtubeur.
Clémence*, qui a côtoyé Victor entre 2014 et 2016 par le biais d’amis communs, détaille ce qu’elle appelle son « mode opératoire ». « Il disait en rigolant “envoyez des nudes”, en mode blague. Mais quasiment toute sa communauté était mineure », note-t-elle — un fait dont le youtubeur aurait été au courant. « Il était très proche d’eux, et fatalement des personnes influençables ont fini par le faire pour se faire remarquer et bien aimer. Lui, il se défendait en disant “moi, je rigole, mais les gens le font vraiment, c’est pas ma faute”. »
Diane*, qui était mineure à l’époque, se souvient que le youtubeur « était souvent insistant au sujet des nudes et le rappelait plusieurs fois par live ». Mehdi, qui avait 14 ans à l’époque des lives, en 2015, abonde : « Il disait explicitement que ça ne le dérangerait pas s’il y avait des mineurs. J’ai vu beaucoup de mineures lui envoyer des nudes, dont deux filles qui avaient 13 ans. »
Diane était l’une d’entre elles. « Suite à ses demandes, j’ai fini par lui envoyer des nudes sur Snapchat. C’était l’été 2015, j’avais 13 ans. » Victor, qui avait 21 ans à ce moment-là, lui aurait, par la suite, demandé plusieurs fois des photos dénudées. « Mon âge était inscrit dans ma bio Twitter, et la très grande majorité de sa communauté était mineure, donc j’ai du mal à penser qu’il ne savait pas que les nudes qu’il recevait venaient d’enfants. » Victor lui aurait même montré son appréciation par message sur Snapchat, selon une capture d’écran conservée par Diane.
« Pendant un live où il avait invité des amis chez lui, il se plaignait lourdement de ne pas avoir eu de nudes dernièrement. Il avait dit « en plus je sais que dans le chat, il y en a qui m’en ont déjà envoyés ». À ce moment-là, j’ai eu peur qu’il dise mon nom, alors je lui en ai envoyé une, en panique. Quand il l’a reçue, il a dit en plein live « ah enfin une ! » et l’a ouverte et l’a montré à ses amis », raconte Diane. Après cet événement, elle raconte avoir pris peur, et avoir arrêté de participer aux lives.
Depuis octobre 2016, le fait de porter atteinte à l’intimité de la vie privée d’autrui en partageant, sans consentement, « des images présentant un caractère sexuel prises dans un lieu public ou privé », est un délit. L’article 226-2-1 du Code Pénal précise que les faits sont passibles de deux ans d’emprisonnement et à 60 000 € d’amende. Les faits présumés que raconte Diane se sont déroulés en août 2015, et la non-rétroactivité de la loi fait que Victor ne pourrait donc être poursuivi pour cette raison-là. Il est toutefois important de préciser le cadre de la loi et de rappeler que le partage de photos dénudées est un délit.
« Il me disait qu’il était triste, et qu’il avait besoin de réconfort »
Noa a vécu une expérience similaire à celle de Diane. Après leur rencontre à la Cavicon, il se serait mis à discuter par Snapchat avec Inthepanda. Après l’avoir entendu demander des nudes pendant ces lives, un jour, Noa aurait décidé d’accéder à sa demande. « Je lui ai envoyé un nude, et après ça, il a commencé à me parler tous les jours. Il me demandait tout le temps des nudes. Lorsque je ne voulais pas, il forçait de ouf, et il me manipulait carrément pour que je le fasse », se souvient-il. « Il me disait que j’étais magnifique, ou alors qu’il était triste, et qu’il avait besoin de réconfort. »
« J’envoyais des photos de mes seins, mais au bout d’un moment, il a voulu plus »
Noa a 14 ans, et Victor 21. Le youtubeur aurait continué, malgré son âge, à demander des images dénudées à Noa. Leurs échanges auraient duré quelques mois, lors de son année de troisième, au collège. Lors d’un voyage scolaire organisé par sa classe, Noa aurait reçu des demandes insistantes de la part du youtubeur. « Je l’ai fait quand j’étais dans la salle de bain de l’hôtel, avec mes potes à côté. »
« En général, j’envoyais des photos de mes seins, mais au bout d’un moment, il a voulu plus. Il a tellement forcé que j’ai fini par craquer, même si je n’étais pas à l’aise. Il me demandait des positions spéciales, des tenues. » Un soir, alors que Victor aurait été complètement ivre après un live, « il est venu me parler, et c’était l’enfer. Il m’a demandé plein de trucs, dont des gros plans de… certaines parties », raconte Noa, la voix hésitante. « Je ne voulais pas, mais au final j’ai fini par accepter tellement il me disait qu’il n’allait pas bien, et que je devrais prendre soin de lui. »
Le youtubeur aurait ensuite commencé à envoyer des nudes en retour. Noa se souviendrait tout particulièrement d’une photo, qui aurait été envoyée alors que le youtubeur était dans son bain. « On voyait visiblement son pénis », raconte Noa. « Je me rappelle d’une fois où Noa était venu en panique nous parler, parce que Victor venait de lui envoyer une photo de lui, dans son bain, sur laquelle son pénis était visible », confirme Célia*, une amie de Noa interrogée par Numerama. « On était choqués, on a tous commencé à se demander si c’était volontaire ou non, si cet homme de plus de 20 ans avait vraiment envoyé son entrejambe à notre pote de 14 ans. »
Violette* aurait également envoyé des nudes à Victor, alors qu’elle avait entre 14 et 15 ans et qu’elle aurait encore été au collège. À cette époque-là, le youtubeur avait 20 ans. Les deux se seraient écrits pendant quelques mois et Violette, par pression sociale, aurait commencé à lui envoyer des photos dénudées. « Il était très content d’en recevoir, et il me le faisait savoir », ajoute-t-elle. Le youtubeur était pourtant au courant que Violette était mineure. En tout, elle lui aurait adressé plusieurs dizaines de photos dénudées.
Les faits décrits peuvent s’apparenter à de la corruption de mineur. Le délit est décrit dans l’article 227-23-1 du Code Pénal comme « le fait pour un majeur de solliciter auprès d’un mineur la diffusion ou la transmission d’images, vidéos ou représentations à caractère pornographique dudit mineur ». Les faits sont passibles de sept ans d’emprisonnement et de 100 000 euros d’amende, avec des peines alourdies à dix ans d’emprisonnement et à 150 000 euros d’amende lorsque « les faits ont été commis à l’encontre d’un mineur de [moins de] quinze ans ».
Victor se serait vanté d’avoir obtenu ces photos. Lors de soirées avec des amis, il lui serait arrivé d’exhiber des nudes envoyées par des fans à des amis, comme des trophées. Clémence* se rappelle une soirée organisée fin 2016 chez le youtubeur. « J’étais en train de discuter avec quelqu’un lorsqu’il nous a interrompus et qu’il a mis tout d’un coup son téléphone sous nos yeux. Sur l’écran, il y avait un nude, qu’il venait de recevoir sur Snapchat. Il nous disait “wow, regardez, elle est trop bonne et elle est mineure en plus” en frimant. J’étais sidérée. »
« Il m’a sauté dessus »
Les demandes de photos dénudées à ces fans ne se seraient calmées qu’en 2016, lorsque Sasha** publie une première accusation de viol sur les réseaux sociaux. Jointe par téléphone, Sasha explique avoir connu Victor en 2012 par des amis communs. Après s’être mutuellement dragués, les deux se seraient vus à Lyon, lorsque Sasha est venue passer plusieurs jours chez le youtubeur. Les deux auraient eu plusieurs relations sexuelles consenties — jusqu’à la fois où Victor l’aurait violée.
Ce soir-là, Sasha serait partie se coucher plus tôt que Victor, encore occupé sur son ordinateur. Le youtubeur l’aurait plus tard réveillée brutalement, et l’aurait forcé à coucher avec lui. « Il m’a sauté dessus, m’a déshabillé de force. J’ai dit non plusieurs fois, j’ai argumenté en disant que j’étais fatiguée, que je voulais dormir, mais il l’a fait quand même », raconte aujourd’hui Sasha à Numerama.
En 2016, après la publication de Sasha sur les réseaux sociaux, Victor s’était exprimé sur Tumblr, expliquant qu’il n’avait commis « aucun des actes qui [lui étaient] reprochés. Aucun. »
« On est nombreux à avoir été bernés »
Les victimes présumées de Victor ne sont pas les seules à parler de manipulation. Ses anciens proches racontent aujourd’hui avoir été, pendant des années, aveuglés, convaincus par le youtubeur que les accusations à son encontre n’étaient pas fondées.
William*, qui a compté parmi les amis de Victor pendant un temps, et qui a depuis coupé les ponts, se souvient de cette période. Lorsque le témoignage de Sasha a été publié sur les réseaux sociaux en 2016, Victor aurait tout fait pour le discréditer. « Il a réussi à convaincre énormément de monde en présentant Sasha comme une personne peu fiable, qui avait de la rancune contre lui. Il a fait circuler dans notre groupe un dossier, avec de nombreux échanges entre lui et Sasha, pour montrer que l’accusation était bidon et qu’elle cherchait juste à lui nuire. On l’a cru. »
Un mécanisme qui aurait permis à Victor de former autour de lui un groupe soudé, prêt à le défendre sur les réseaux sociaux coûte que coûte. « À partir de ce moment-là, on était convaincus que tous les autres témoignages venaient de proches de Sasha, ou bien on se disait que c’étaient des gens qui voulaient gratter de la gloire et du buzz. Aujourd’hui, j’ai honte d’avoir pensé ça », admet William. « On est nombreux à avoir été bernés. »
Même son de cloche chez Louis, qui a connu Victor bien plus tard, en 2018. À ce moment-là, les accusations de Sasha sont toujours en ligne, et des rumeurs circulent. « On en a parlé tous ensemble, et Victor a tout nié. Il nous a dit qu’il y avait des rumeurs qui circulaient sur lui, parce qu’il y avait des gens qui ne l’aimaient pas. » Louis lui laisse le bénéfice du doute.
Mais quand Iris lui raconte en 2022 ce qu’il se serait passé dans sa chambre d’hôtel, après le festival, l’accusation contre Victor et les rumeurs à son encontre prennent une autre tournure pour lui. « C’est horrible, parce qu’évidemment, on perçoit les choses différemment quand ça arrive à quelqu’un de son entourage », analyse-t-il. Louis coupe immédiatement les ponts avec le youtubeur.
« Il donne une version en son honneur, en disant que c’est Iris qui l’a invité dans sa chambre, que c’est elle qui l’a chauffé »
Dès son retour du festival, Victor aurait lancé la machine pour faire passer sa version pour la vraie. « Une partie du groupe apprend assez rapidement qu’il s’est passé quelque chose pendant le festival. Victor est confronté, et il donne une version en son honneur, en disant que c’est Iris qui l’a invité dans sa chambre, que c’est elle qui l’a chauffé », explique Louis.
Victor en veut pour preuve un échange qu’il a eu par message avec Iris le lendemain de l’agression, et qui montre selon lui que tout va bien entre eux deux. « Victor m’a envoyé un message en me disant “j’espère que ça va” », indique Iris à Numerama, qui a pu consulter une capture d’écran de l’échange. Encore sous le choc, et ne sachant pas quoi faire, Iris répond de manière évasive. « Victor a montré cet échange à ses proches pour se justifier, prouver qu’elle allait bien », confirme Louis.
Après ce bref échange, Iris n’a plus jamais parlé à Victor. « Je l’ai bloqué partout, sur tous les réseaux sociaux. Je me suis barricadée, parce que j’avais peur de sa réaction, et que je savais que tout ce que je lui enverrais pourrait être utilisé contre moi. »
« Je n’ai plus de preuves assez concrètes pour la justice »
À notre connaissance, aucune plainte contre Victor Bonnefoy n’a pour l’instant été déposée. Comme pour de nombreuses victimes de violences sexuelles, il y a, en premier, la crainte de ne pas être crues. « Je n’ai plus de preuves assez concrètes pour la justice », regrette aujourd’hui Noa. « Honnêtement, je ne veux pas me retrouver face à des gens qui possiblement ne me croiraient pas. Je veux laisser cette histoire derrière moi, et l’idée d’être devant des policiers, la justice, qu’on me demande le moindre détail sur ce qu’il s’est passé, tout ça m’angoisse.»
Il reste en effet aujourd’hui peu de documents matériels. Les échanges sur Snapchat ont été supprimés automatiquement, et les témoins n’ont pas gardé de copie d’images qu’ils auraient envoyées ou reçues. Les vidéos en direct réalisées à l’époque par Victor n’ont pas été enregistrées, et ne peuvent pas être re-visionnées. Le site de Twitcam est désormais inaccessible, tout comme celui de Hitbox, qui aurait également été utilisé par le youtubeur pour des streams.
De même, le compte Twitter d’Intepanda est quasiment vide. Après avoir été fermé pendant un temps, il est dorénavant ouvert, mais abandonné. Tous les anciens tweets de Victor ont été supprimés, sauf un message : « allez plutôt voir des films ».
Noa, qui aurait reçu des photos de la part de Victor, n’a pas pu conserver de captures d’écran. « À un moment, j’ai screené quelques passages de conversations, pour envoyer à mes potes, parce qu’on parlait beaucoup de ça. Victor m’a engueulé, il m’a demandé à qui je les envoyais, et il m’a dit de ne pas recommencer. J’ai dit à mes potes que j’allais arrêter de leur montrer ce qu’il se passait. » Noa aurait par la suite supprimé les captures d’écran.
À l’inverse, Victor ne se serait pas gêné pas pour prendre des screenshots. « Il a screené beaucoup de nudes de moi », indique Noa, qui a vu des notifications sur Snapchat. À Clémence, le youtubeur aurait expliqué qu’il gardait les photos que ses fans lui envoyaient, et qu’il aurait téléchargé exprès une extension Snapchat, afin que les personnes ne soient pas notifiées lorsqu’une capture d’écran était prise.
Victor Bonnefoy n’est pas le premier youtubeur mis en cause pour harcèlement, corruption de mineur ou violences sexuelles. Le vidéaste ExperimentBoy, auquel Numerama avait consacré une enquête en 2020, aurait, pendant des années, profité de sa notoriété pour demander à de jeunes fans de lui envoyer des photos dénudées. Plus récemment, le célèbre humoriste Norman a été placé en garde à vue à la suite d’une enquête pour corruption de mineurs et viol, à la suite d’un témoignage publié sur Instagram et de plusieurs plaintes.
Disclaimer :
Une employée de Numerama a connu le youtubeur Inthepanda à partir de 2016. Après s’être signalée immédiatement à la rédaction en chef, elle s’est retirée de toutes les discussions sur l’enquête de Numerama, qui a été menée en toute indépendance, et qui avait débuté avant son arrivée dans l’entreprise.
Aujourd’hui, les victimes présumées que Numerama a interrogées se disent soulagées de voir que leurs témoignages ont été entendus. « C’est super que les choses bougent enfin, même si c’est tard », estime Sasha. « C’est assez libérateur, même si c’est un peu frustrant de voir qu’il a fallu beaucoup d’efforts de la part des victimes pour qu’on arrive à ça ». Mais le plus important est fait, juge-t-elle. « C’est génial, qu’il n’ait plus le pouvoir de faire de nouvelles victimes ».
La dernière fois que Victor Bonnefoy a pris la parole sur sa chaîne YouTube, c’était en octobre. Dans cette vidéo intitulée « Pourquoi je fais moins de YouTube », il explique « perdre des abonnées » « à chaque fois [qu’il] fait des vidéos ». Il dit également, à la fin, être « en dépression » depuis plusieurs mois, et parle de son mariage qui arrive. Il explique avoir entamé une psychothérapie et termine : « Je vous encourage à vous faire aider si vous allez mal, ce que j’essaie de faire. Je pense qu’on a toujours à un moment le temps, et l’opportunité, d’essayer de devenir meilleur. Pas tant pour les autres, mais surtout pour soi-même.»
Vous disposez d’informations et souhaitez nous en parler ? Vous pouvez nous contacter par mail Aurore Gayte ([email protected]) ainsi que sur Signal (demande de numéro par mail).
* Les prénoms des témoins de Numerama ont été modifiés pour garantir leur anonymat.
** Le prénom de la personne interviewée par Numerama a été changé. Elle a de plus souhaité être genrée au féminin.
+ rapide, + pratique, + exclusif
Zéro publicité, fonctions avancées de lecture, articles résumés par l'I.A, contenus exclusifs et plus encore.
Découvrez les nombreux avantages de Numerama+.
Vous avez lu 0 articles sur Numerama ce mois-ci
Tout le monde n'a pas les moyens de payer pour l'information.
C'est pourquoi nous maintenons notre journalisme ouvert à tous.
Mais si vous le pouvez,
voici trois bonnes raisons de soutenir notre travail :
- 1 Numerama+ contribue à offrir une expérience gratuite à tous les lecteurs de Numerama.
- 2 Vous profiterez d'une lecture sans publicité, de nombreuses fonctions avancées de lecture et des contenus exclusifs.
- 3 Aider Numerama dans sa mission : comprendre le présent pour anticiper l'avenir.
Si vous croyez en un web gratuit et à une information de qualité accessible au plus grand nombre, rejoignez Numerama+.
Vous voulez tout savoir sur la mobilité de demain, des voitures électriques aux VAE ? Abonnez-vous dès maintenant à notre newsletter Watt Else !