Le mois dernier, Nicolas Sarkozy a confirmé son souhait de mettre en place une liste noire de sites Internet que les FAI devront obligatoirement bloquer. « Il n’y aucune raison que les fournisseurs d’accès permettent l’accès à des sites pédopornographiques« , avait ainsi expliqué le chef de l’Etat face aux acteurs du monde familial. »On peut parfaitement assurer la liberté qui est tout à fait nécessaire et en même temps le devoir de protection des plus vulnérables.Internet n’est pas hors de l’Etat de droit. Notre devoir, c’est de protéger et d’aider les familles« , avait-il défendu.
Mais concrètement, qui aura un droit de regard sur la liste des sites bloqués sur simple décision administrative, sans intervention de l’ordre judiciaire pour déterminer que tel ou tel site est effectivement hors la loi ?
Dans l’état actuel du projet de législation, l’Office central de lutte contre la criminalité liée aux technologies de l’information et de la communication (OCLCTIC) fournira aux FAI la liste des services à bloquer, lesquels auront une obligation de résultat. La liste sera établie par arrêté du ministre de l’intérieur. Mais cet arrêté sera-t-il public ?
En principe, et paradoxalement, la censure est publiée. Dans le bon vieux monde de l’imprimerie, la liste des imprimés interdits en France est publiée au Journal Officiel, pour que chacun puisse savoir ce qui est autorisé ou non, et pour que chacun soit informé des motifs qui ont conduit à son interdiction sur le territoire français. La publicité est d’ailleurs la règle pour tous les documents administratifs.
Il s’oppose à la censure et se retrouve lui-même censuré
Or dans l’univers numérique, publier une blacklist c’est mettre au grand jour une liste de sites pédophiles qui seront facilement accessibles en contournant les outils de filtrage, notamment en passant par des proxys hébergés à l’étranger. Mais ne pas publier la liste est s’exposer à l’arbitraire, et prendre le risque que des sites parfaitement légitimes soient bloqués, comme ça avait été le cas de Wikipedia en Grande-Bretagne.
En Australie, l’Autorité Australienne des Communications et des Médias (ACMA) est chargée d’établir la liste des sites à contenus pédopornographiques interdits sur le territoire, et la liste est gardée secrète. Pour le moment, la liste est utilisée pour poursuivre les sites Internet qui pointent vers les contenus censurés, sous peine d’astreinte de 11.000 $ par jour pour ceux qui ne retirent pas les liens après notification.
Mais Ars Technica indique que dans la liste des liens proscrits en Australie figurent également des pages de sites étrangers qui se contentent eux-mêmes de lister les pages bloquées dans leur propre pays. Les liens vers les pages de Wikileaks qui listent les sites bloqués au Danemark (3.863 sites), en Thaïlande (11.329 sites) ou encore en Finlande (797 sites) sont ainsi interdits en Australie.
En Finlande, un homme qui protestait contre le filtrage et qui publiait sur son site « une centaine de sites censurés » a lui-même vu son site ajouté à la liste des sites interdits aux finlandais. Selon un site local, pourtant, la plupart des noms de domaine référencés dans la blacklist seraient des sites pornographiques légaux.
Tant que le filtrage se cantonne aux contenus pédopornographiques, ces problèmes restent inaudibles pour la majeure partie de la population, pour laquelle l’émotion prend systématiquement le dessus sur la raison. Mais une fois que le principe du filtrage secret sera accepté pour les contenus pédophiles (qui ne sont, en fait, vus que par ceux qui les cherchent), le risque pourra s’étendre à d’autres champs de contenus moins chargés en émotion, en toute discrétion.
Un précédent existe. Le FNAEG, le fichier national automatisé des empreintes génétiques, avait été créé en 1998 pour permettre à la police et à la gendarmerie d’accéder aux traces ADN des seuls délinquants sexuels. Depuis, le FNAEG a été étendu à de multiples reprises, et s’applique aujourd’hui selon le Syndicat de la Magistrature aux « trois-quarts des affaires traitées dans les tribunaux (…) à l’exception notable de la délinquance financière, ou encore de l’alcoolisme au volant« . L’an dernier, seulement 10 ans après sa création, le fichier comptait déjà plus de 800.000 empreintes génétiques.
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