La France a une stratégie pour empêcher les mineurs de voir du porno sur Internet, qui implique un blocage des sites X et un contrôle de l’âge. Voici ce qu’il faut retenir.

Qu’est-ce que c’est que cette histoire

Le blocage des sites pornographiques est une nouvelle politique mise en place en France pour exclure les plateformes qui ne respectent pas la réglementation française. L’objectif est d’obliger ces espaces à mieux contrôler l’âge des internautes qui tentent d’accéder à leurs contenus, avec un dispositif qui parvient à savoir si vous avez ou non plus de 18 ans.

Cette politique s’articule autour de deux volets : le premier consiste à forcer les sites X à changer la manière dont ils interagissent avec les internautes pour savoir leur âge. Le second implique les fournisseurs d’accès à Internet (FAI), qui peuvent recevoir l’ordre de bloquer les sites X après une décision de justice — la loi a été actualisée pour autoriser la saisie des tribunaux.

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Haro sur le porno. // Source : charlesdeluvio

C’est en raison de l’exposition des enfants à la pornographie que cette mesure a vu le jour. Beaucoup trop de mineurs voient des contenus qui ne sont pas de leur âge — «  À 12 ans, près d’un enfant sur trois a déjà été exposé à la pornographie », notait en février 2021 Cédric O, l’ancien secrétaire d’État en charge du numérique. Bien d’autres statistiques du même acabit existent.

Or, au-delà des considérations juridiques (le Code pénal interdit de montrer ces contenus à des mineurs), il y a aussi la représentation faussée de la sexualité qui est en accusation dans la pornographie : traitement des femmes, violence et pratiques sexuelles dures, performances lors de l’acte, représentation des corps masculins et féminins, actes dégradants, etc.

Pour les associations, notamment celles de protection de l’enfance, c’est un enjeu qui a des répercussions non seulement sur les rapports entre les hommes et les femmes, ainsi que dans l’esprit et le désir des jeunes — une exposition très jeune peut occasionner des troubles psychiques, selon l’association Ennocence, avec une perte de la libido ou des troubles de l’érection.

Quand le contrôle de l’âge doit-il arriver ?

La loi a été actualisée en 2020. Depuis deux ans, le Code pénal exige des sites X de vérifier l’âge des internautes autrement que par un simple bouton d’accès présent sur la page d’accueil. Ce bouton ne prouve rien, si ce n’est que les internautes n’ont pas de problème pour mentir sur leur âge. Et cela, même si le site demande de certifier sur l’honneur que vous avez plus de 18 ans.

Cette exigence figure dans l’article 227-24 du Code pénal. Or, il y a un hic : la loi ne dit pas comment procéder à cette vérification. Aux sites X de se débrouiller. Il n’y a pas non plus de lignes directrices édictées par l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom), alors qu’elle en a la possibilité, justement pour guider ces plateformes.

De fait, les sites X n’ont pas franchement bougé depuis 2020. Sur les plus gros, on voit en général toujours une page d’accueil floutant le contenu, avec un bouton en surimpression pour certifier que l’on est bien majeur. Quelques sites appliquent une politique plus restrictive — OnlyFans nécessite un paiement pour voir les vidéos et les photos –, mais ils sont largement minoritaires.

La proposition de loi veut protéger les enfants d'une surexposition aux écrans  // Source : Kelly Sikkema / YouTube
La réduction de l’exposition des mineurs au porno est au centre de cette stratégie. // Source : Kelly Sikkema / YouTube

2023 pourrait néanmoins être l’année où le contrôle de l’âge (et donc, in fine, le blocage des sites X récalcitrants) entrera en vigueur. Le gouvernement doit en effet présenter une stratégie reposant sur une application servant d’intermédiaire entre l’internaute et le site X, pour valider anonymement l’âge. L’application est attendue pour septembre 2023.

D’où est venue l’idée ?

L’opportunité de bloquer des contenus pornographiques est une réflexion assez ancienne. Elle était déjà abordée lors de la présidence de Nicolas Sarkozy, entre 2007 et 2012, par une députée de sa majorité présidentielle. Elle est revenue sous l’ère Hollande, lors du quinquennat suivant, mais aussi lors du premier mandat d’Emmanuel Macron et durant le second.

On pourrait presque dire que ce débat est aussi vieux que l’Internet grand public, lorsque l’accès au réseau des réseaux s’est vraiment démocratisé, au tournant des années 2000, et quand le haut débit s’est répandu en France. Les ados accédant aussi au net, parfois sans encadrement, la question d’un cordon « sanitaire » s’est vite posée — et les logiciels de contrôle parentaux ont fleuri.

Pour ce qui est de la mesure en débat, l’idée date de 2019 avec une prise de parole d’Emmanuel Macron à la tribune de l’UNESCO. « Dans notre pays, on accède à la pornographie vers l’âge de 13 ans. […] Nous nous devons de les protéger face à ces contenus ». Depuis, la majorité présidentielle et le gouvernement se sont efforcés de traduire la volonté du chef de l’État.

Peut-on vraiment bloquer tous les sites porno récalcitrants ?

Il est difficile de trouver une statistique fiable sur le nombre de sites X en activité sur le net. Si l’on se fonde sur les chiffres de Statista, 4 % des de tous les sites web contiendraient des contenus pour adultes. Et, toujours selon Statista, 1,88 milliard de sites web en août 2021. Cela voudrait donc dire qu’il y aurait à la louche plus de 75 millions de sites pornographiques.

Même si ces statistiques peuvent être contestées, on sait qu’il y a énormément de pornographie sur Internet — et ces données donnent une bonne idée de l’ordre de grandeur dans lequel il faut penser le X sur le net. Et encore, on ne parle ici que du web visible. Il y a aussi de la pornographie qui s’échange par d’autres canaux : deep web, dark web, échanges en P2P, mails et messageries…

Les unes des enquêtes // Source : Melvyn Dadure pour Numerama
Les unes des enquêtes // Source : Melvyn Dadure pour Numerama

On voit bien l’ampleur de la tâche et sa difficulté : le porno figure sur toutes sortes d’hébergeurs, avec des catalogues de tailles diverses et s’appuyant une multitude d’adresses. Certes, il sera facile de se focaliser d’abord sur les sites les plus visités, pour frapper un grand coup. Mais ensuite, cela sera plus difficile d’aller chercher les millions d’autres plus petits sites.

Enfin, la pornographie ne s’arrête pas aux images et aux vidéos. C’est un format qui se décline aussi sous forme de texte et d’audio, sous forme de jeux vidéo, dans des dessins imaginaires. Surtout, le porno ne se niche pas que sur des sites porno. Il se propage aussi sur des espaces « gris », comme Snapchat, Reddit, Instagram ou bien Twitter, avec des contenus plus ou moins explicites.

Va-t-on aussi bloquer Twitter et Reddit pour lutter contre le porno ?

Le porno ne se trouve pas que sur les sites pornographiques. De fait, cela pose la question de plateformes communautaires comme Twitter et Reddit qui laissent se propager des échanges de cette nature — et il n’y a pas ici aussi de vrai contrôle de l’âge. La question n’est aujourd’hui pas directement tranchée, mais il suffit d’une poignée de clics et de requêtes pour trouver du X.

Le risque n’est pas totalement imaginaire : en mai 2022, deux associations (la COFRADE — Conseil Français des Associations pour les Droits de l’Enfant — et OPEN — Observatoire de la Parentalité & de l’Éducation Numérique) ont signé une tribune pour reprocher à Twitter d’enfreindre la législation. Elles plaidaient alors pour une « suspension temporaire » de Twitter.

Comment vérifier l’âge des internautes ?

Il existe plusieurs possibilités, qui ont leurs forces et leurs faiblesses, mais aussi leurs problématiques propres (comme l’usage d’une carte bancaire). De façon générale, la Cnil juge qu’il n’y a pas de solution absolument parfaite. Pour autant, cela ne veut pas dire qu’il ne faut rien faire ni qu’une piste imparfaite ne pourrait pas répondre favorablement à une majorité de critères.

Aujourd’hui, la piste la plus plausible est l’utilisation d’une application servant de tiers de confiance et d’intermédiaire entre l’internaute et les sites pornographiques qui sont « partenaires » — c’est-à-dire qui suivent les directives du gouvernement sur un vrai contrôle de l’âge. Cette application est attendue courant 2023, a priori à la rentrée prochaine.

smartphone // Source : pixabay
Une application doit arriver en 2023. // Source : pixabay

Cette application aurait pour rôle de transmettre les données dans un sens et dans l’autre, sans que des informations personnelles traversent son « filtre ». En clair, le service qui fournit la preuve de l’âge ne saura pas pour quel site web son attestation sera utilisée. Et le site X recevra l’attestation d’âge, mais sans savoir qui l’a fournie ni l’identité de l’internaute (il n’y aura que l’indication de sa majorité).

Tout l’enjeu de sécurité, de confidentialité et de fiabilité va donc reposer sur cette application mobile, puisqu’elle servira de navette entre deux mondes ne devant jamais communiquer. Les détails techniques ne sont pas encore connus autour de ce projet, mais il y aura inévitablement l’enjeu des fuites de données et du risque de piratage ou de dysfonctionnement de l’app parmi les sujets

Qui est dans le projet ?

Le projet mobilise plusieurs acteurs : au niveau du gouvernement, les services de Charlotte Caubel, la secrétaire d’État en charge de l’Enfance, et de Jean-Noël Barrot, le ministre délégué pour la transition numérique et des télécommunications, sous la supervision de la Première ministre Élisabeth Borne. Quant au moteur politique de la mesure, c’est Emmanuel Macron.

Il y a aussi l’Arcom dans la boucle. Il s’agit d’une jeune autorité qui est le fruit de la fusion entre le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) et la Haute Autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur Internet (Hadopi). La Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil) est aussi présente, pour les sujets de vie privée et de confidentialité

Selon Le Parisien, le chantier mobilise aussi depuis neuf mois des sociétés qui sont spécialisées dans le numérique (elles ne sont pas nommées), afin de mettre au point l’application et l’architecture pour faire la liaison entre l’internaute et le site X. Il est aussi évoqué les opérateurs de télécommunications, notamment pour fiabiliser le contrôle de l’âge.

Quelles sont les limites du blocage des sites X et du contrôle de l’âge ?

Inévitablement, plusieurs questions demeurent sur les écueils d’un tel projet.

  • Il y a beaucoup trop de sites X. Il parait impossible de tous les bloquer, même en les sanctionnant massivement ensemble, même en allant au plus vite sur le plan judiciaire ;
  • Si les plus gros sites X, ou ceux dont l’audience dépend énormément de la France, joueront peut-être le jeu, il y en a beaucoup d’autres qui n’en feront qu’à leur tête ou ignoreront peut-être tout simplement ce que leur impose la réglementation française ;
  • Qui dit blocage des sites X dit risque de sur-blocage, avec des sites légitimes pris involontairement dans les filets des FAI agissant à la demande des tribunaux ;
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Il y a des millions de sites X sur le web. // Source : Numerama
  • En fonction du type de blocage utilisé, il est plus ou moins facile de le contourner. Par exemple, il est simple de changer ses DNS ;
  • Les internautes pourraient aussi se ruer sur le VPN pour échapper à ce contrôle et faire croire qu’ils viennent d’un pays étranger ;
  • Des internautes pourraient aussi chercher des VPN gratuits pour ne pas payer. Or ceux-ci sont questionnables quant à leurs pratiques publicitaires et de gestion des données personnelles. Certains pourraient être douteux ou constituer un risque de sécurité informatique ;
  • La chasse aux sites pornographiques ne contrôlant pas l’âge pourrait avoir pour effet de pousser aussi des internautes vers des sites X plus confidentiels, plus obscurs et plus alternatifs, ce qui pourrait exposer des mineurs à des actes plus perturbants à un jeune âge ;
  • La fiabilité de l’application sera inévitablement au centre des préoccupations, en particulier sur les données personnelles et la confidentialité.
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