Sur Internet, la mort factice d’une autruche peut cacher bien plus qu’un simple canular. C’est ce qu’a révélé ce 15 février 2023 Forbidden Stories, un consortium de journalistes qui a travaillé avec plusieurs médias internationaux sur l’affaire que l’on connaissait jusqu’ici en France comme « l’affaire Rachid M’Barki », du nom d’un présentateur de BFM TV suspendu après avoir diffusé des informations tronquées sur la chaîne d’info en continu.
L’affaire s’appelle désormais Story Killers et regroupe des dizaines d’articles mettant au jour les manigances d’une entreprise discrète, qui s’est spécialisée depuis une décennie dans la désinformation en ligne. Les opérations sont menées par une équipe qui se fait appeler la « Team Jorge ».
Les journalistes, qui se sont fait passer pour des consultants afin d’avoir accès à ces informations, ont découvert l’existence d’une plateforme baptisée AIMS (Advanced Impact Media Solutions), qui permet la création de milliers de faux profils sur toutes les plateformes les plus utilisées dans le monde : Facebook, Twitter, mais aussi Amazon et même Airbnb. « On a des Arabes, des Russes, des Asiatiques et des Africains, bien sûr », a assuré le fameux Jorge.
Que vient faire l’émeu Emmanuel dans cette histoire ?
C’est là que l’autruche Emmanuel entre en action. Ou plutôt, devient malgré elle la preuve des capacités monumentales d’influence de la Team Jorge.
Emmanuel l’émeu est un animal devenu célèbre sur TikTok : sa propriétaire diffuse des vidéos de lui depuis l’été 2022, engrangeant des millions de vues. Elle a aujourd’hui 2,5 millions d’abonnés sur la plateforme chinoise.
L’équipe de la « Team Jorge » vante l’existence de 39 000 avatars à travers les plateformes, qui pourraient être activés pour des campagnes de désinformation. Les journalistes, sous couverture, demandent une preuve : « tuer » virtuellement l’émeu Emmanuel, en lançant le hasthag #RIP_Emmanuel sur Twitter, afin de faire croire à son décès.
De nombreux faux comptes commencent alors à tweeter #RIPEmmanuel en juillet 2022, pour faire monter la rumeur. C’est une opportunité en or pour les journalistes, qui peuvent, grâce à cette manœuvre, identifier « plus de 1 800 faux comptes » sur la plateforme, explique a posteriori le journaliste Omer Benjakob.
Le mot dièse se serait hissé en haut des « rtendances » Twitter en Slovaquie (1 300 tweets). Il faudra attendre le 29 juillet au matin pour que la propriétaire d’Emmanuel mette fin à la rumeur en tweetant : « J’ai découvert au réveil que quelqu’un a lancé une rumeur sur la mort d’Emmanuel, je me suis ruée jusqu’à sa grange pour voir si c’était vrai. Il m’attendait aux barrières, parfaitement en vie et prêt à recevoir mes câlins. Emmanuel n’est pas mort ! »
Une fois cette campagne « test » lancée, Team Jorge a, par inadvertance, déposé des petits cailloux sur le sol, que les médias n’ont eu qu’à suivre. En analysant les 1 800 comptes Twitter activés pour propager la rumeur, les journalistes du Monde ont pu identifier plusieurs autres campagnes d’influence : l’une qui cible l’homme d’affaires Peter Nygård (arrêté pour trafic sexuel en 2020), deux pour réhabiliter des prisonniers menacés d’extradition, une autre encore pour mettre la pression sur un élu californien. Le Monde note combien ces opérations d’influence peuvent aboutir « parfois à des situations confinant au ridicule, tant ces outils sont désormais utilisés pour des motifs mesquins », comme des règlements de comptes entre puissants.
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