Sam Bankman-Fried, le fondateur de la plateforme FTX, cultivait volontairement une esthétique de geek qui ne prend pas soin de son apparence pour séduire les investisseurs. Une stratégie qui en dit long sur les privilèges masculins dans le monde de la tech, ainsi que sur le poids des mythes que charrie la Silicon Valley. C’est ce qu’on aborde cette semaine dans l’émission le Meilleur des mondes de France Culture.

La scène se déroule la veille de la première apparition de Sam Bankman-Fried à la télévision américaine. Un collègue l’interpelle : « Bon, quand est-ce que tu vas couper tes cheveux ? Tu as l’air ridicule.» L’intéressé répond, pragmatique : « Je pense qu’il ne faut pas que je les coupe, cela ferait perdre de la valeur à l’entreprise. Je crois qu’il est important que les gens pensent que je suis fou

Cette anecdote, rapportée le New York Times en mai 2022, résume bien comment le fondateur de FTX a réussi à tirer profit d’une esthétique survalorisée dans la Silicon Valley : le mythe du petit génie mal sapé.

Bankman-Fried a poussé le concept à l’extrême. Baskets en mauvais état, t-shirt informe, bermuda délavé ; le trentenaire ne passait pas inaperçu au milieu d’autres hommes en costards. Cela ne vous rappelle personne ?

Dans The Social Network, le film sur Facebook, l’acteur Jesse Eisenberg campe un Mark Zuckerberg revanchard, caché dans son hoodie, avec une bonne touffe de cheveux bouclés mal peignés. Le même Zuckerberg deviendra en partie célèbre pour ses T-shirts gris identiques. Ce que l’histoire dit moins souvent, c’est que ces T-shirts coûtent 300 dollars pièce et étaient faits sur mesure par un couturier italien.

Jesse Eisenberg joue Mark Zuckerberg dans The Social Network
Jesse Eisenberg joue Mark Zuckerberg dans The Social Network

Pas une femme ne pourrait se permettre ce que Sam Bankman-Fried a fait

Il serait peut-être temps de casser le mythe. La supercherie Bankman-Fried met en lumière l’aveuglement de certains investisseurs — qu’il méprisait lui-même, assurant qu’il ne porterait « jamais de pantalon fermé » devant eux.

On pourrait se montrer moqueurs. Et se dire qu’ils n’ont eu que ce qu’ils méritent. Mais qui pâtit en réalité de ces biais ? Je citerais Nisha Dua, responsable d’un fonds d’investissement américain, qui confiait au média Axios : « Parmi les milliers d’entrepreneuses que j’ai rencontrées, je ne prends pas de risque, en disant n’y en a pas une seule qui se soit habillée comme Sam Bankman-Fried. »

D’Einstein aux personnages des séries comme The IT Crowd ou Silicon Valley, les exemples crient tous la même chose : vous pouvez faire confiance à ces hommes qui n’ont pas besoin de faire d’efforts, car ils sont géniaux. Cela s’étend en politique, prenez Donald Trump, Boris Johnson, avec leurs costumes trop grands et leurs cheveux de paille.

Là où un look négligé peut être valorisé chez un homme, surtout blanc… une femme, encore plus si elle est racisée, s’entendra dire qu’elle ne présente pas assez bien pour qu’on lui fasse confiance. Imaginerait-on une seconde qu’une femme puisse faire « croire qu’elle est folle » pour attirer l’argent d’investisseurs ou récolter des voix dans les urnes ?

On appelle ça le double standard — et lorsque l’on sait que les femmes ont levé seuls 2 % des investissements aux États-Unis l’an dernier, on se dit qu’à ce rythme, ce sont nos arrières, arrières, arrières petites-filles qui accéderont peut-être à l’égalité. 

Réécouter le Meilleur des mondes sur France Culture

L’émission De FTX à la crise des cryptomonnaies : une faillite de la croyance ? du vendredi 17 février 2022 peut être réécoutée sur le site de France Culture ou en podcast. La chronique de Numerama est à 53 minutes.

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