C’était l’un des épisodes de la loi Hadopi les plus ennuyeux qu’il nous a été donné de voir depuis la première saison. Lundi, les débats ont repris à l’Assemblée Nationale pour la seconde lecture du projet de loi Création et Internet, dans un hémicycle de nouveau vidé de ses membres, et dans un climat soporifique. Suite du feuilleton (à suivre sur hadopi.numerama.com) :

Oubliées, les grandes envolées politiques de la soirée de mercredi dernier, et l’Assemblée remplie de députés UMP venus laver l’affront et de socialistes venus montrer que leur mobilisation contre le texte restait entière. Lundi, les députés ont entamé dans un calme étonnant la discussion en seconde lecture des articles du projet de loi Création et Internet. Dans une assemblée riche d’une petite vingtaine de députés.

Privés de parole lors de la discussion générale, les députés UMP Lionel Tardy, Christian Vanneste et Alain Suguenot, opposés à la loi Hadopi, ont cette fois pu s’exprimer librement. Même Frédéric Lefebvre a gardé son sang froid pour leur porter la contradiction, tandis que Christine Albanel, résolue la semaine dernière à ne plus « perdre de temps » à défendre son point de vue, a répondu aux questions de l’opposition pour expliquer les raisons qui la poussait, un à un, à rejeter chacun des amendements présentés.

Sans doute le contexte de la discussion n’est pas étranger à ce climat soudainement apaisé. En coulisse, pendant que le débat sur la loi Création et Internet occupe le devant de la scène, les groupes parlementaires négocient en effet la réforme du règlement de l’Assemblée Nationale. Décidé à se venger de l’affront du 9 avril, les députés de la majorité ont adopté en commission la semaine dernière une série de réduction des droits de l’opposition : réduction de trois à deux du nombre de motions de procédure qu’elle peut opposer à l’examen d’un texte ; durcissement des conditions de vérification du quorum à l’occasion d’un vote ; intégration du temps de parole des présidents de groupe dans le « temps global » attribué à chaque groupe lors de la discussion d’un texte en séance.

C’est donc probablement dans l’espoir de ramener chacun à la raison qu’opposition et majorité ont choisi lundi d’entamer une discussion monocorde du texte.

« Voilà que l’on va couper l’eau peut-être parce qu’un voisin en a bu quelques verres »

En début de séance, Patrick Bloche a tout d’abord rappelé, sans animosité, que les socialistes avaient présenté cinq amendements en commission qui ont été refusés pour des motifs douteux d’inconstitutionnalité : un amendement qui obligeait l’Hadopi à mettre en place un centre d’appel téléphonique pour l’information des internautes, deux amendements sur l’envoi obligatoire des recommandations avant la sanction, un amendement sur le versement de dommages et intérêts en cas d’erreur de l’Hadopi, et enfin un amendement qui disposait que les moyens de sécurisation labellisés par l’Hadopi doivent être gratuits et interopérables.

Dans son intervention, d’ailleurs intégralement disponible sur son site internet, le député Christian Vanneste a critiqué une loi « marquée par la fermeture d’esprit« , et fustigé la « pénalisation collective » qu’elle entraîne, notamment pour les familles ou les entreprises. Citant Eric Besson qui, alors secrétaire d’Etat à l’économie numérique, avait jugé Internet « aussi indispensable que l’eau ou l’électricité« , Christian Vanneste s’étonne que « l’on va couper l’eau peut-être parce qu’un voisin en a bu quelques verres« .

De son côté, Frédéric Lefebvre a indiqué que le groupe UMP entendait suivre le gouvernement et la version du texte adoptée en commission mixte paritaire, et évoqué les signataires de la lettre ouverte des quatre « artistes de gauche » aux socialistes. « Cessons de nous envoyer à la figure des pétitions, des lettres ouvertes. Vous en recevez, nous en recevons« , a répondu dans un souci d’apaisemnt le député socialiste Christian Paul, notant que le sujet divisait bien au delà des clivages politiques habituels. Plus tard, alors que la ministre et la majorité continuaient de faire référence aux pétitions de la Sacem et autres lettres ouvertes, Patrick Bloche taclait pour sa part dans un sourire, affirmant que « nous pourrions nous aussi, si nous étions faibles en arguments, sortir nos listes d’artistes« .

Contribution créative et amendement Bono au coeur des discussions

Dans ce climat bon enfant, l’essentiel de la discussion a tourné dans l’après-midi sur la « contribution créative », la nouvelle formule de la licence globale proposée par la gauche. Même Jean Dionis du Séjour, qui s’y était opposé avec force en 2006 avec la loi DADVSI, a reconnu que la loi Création et Internet « ne peut pas avoir pour ambition de financer à long terme la création« , et qu’il « faut avoir l’honnêteté intellectuelle de dire qu’il faudra bien rechercher de ce côté là, et que de toute façon il faut l’ouvrir ce débat« .

En tenante du libéralisme, Christine Albanel a dit son souhait de laisser le champ aux « licences privées, qui sont tout simplement des contrats, et qui donc respectent bien évidemment les ayants droit ». Elle a estimé qu’une forme de licence globale serait « impossible » à mettre en œuvre techniquement, « injuste« , et qu’elle était « massivement rejetée par tous les pays qui se posent exactement les mêmes questions, et par tous les auteurs et les créateurs qui ne cessent de le dire partout« .

En tenants de la régulation étatique, les socialites ont défendu l’idée d’une licence contrôlée par l’Etat. « Nous ne voudrions pas qu’une licence globale privée se mette insidieusement en place« , alors que les rumeurs d’une offre illimitée privatisée se font de plus en plus pressante. « Vous ne souhaitez pas de la régulation, vous laissez faire cette prise de contrôle sur les canaux de diffusion de la culture« , a pour sa part estimé Christian Paul.

La contribution créative ayant été rejetée, une nouvelle fois sans que les socialistes ne demandent de scrutin public alors que c’est leur proposition la plus forte, le débat a tourné autour de l’amendement Bono, actuellement au coeur de négociations tendues au Parlement européen. Dans sa forme initiale, il prévoyait que les états membres aient l’obligation de recours à un ordre préalable de l’autorité judiciaire avant toute sanction de suspension de l’accès à Internet. Mais le compromis adopté la semaine dernière réduit fortement sa portée immédiate, ce que n’a manqué de rappeler la majorité.

« L’amendement Bono est en train d’évoluer. Attendons de voir le texte définitif qui sera retenu pour en tirer toutes les conséquences en droit national« , a ainsi demandé le rapporteur Frank Riester, qui estime que de toute façon « l’Hadopi a tous les critères d’une autorité judiciaire« . Chose qu’a fortement contesté la députée Verts Martine Billard, qui s’est indignée de l’existence d’un « chantage » sur l’amendement Bono-Cohn-Bendit, la France ayant menacé de ne pas adopter le Paquet Télécom si l’amendement Bono n’était pas retiré ou fortement modifié. « L’Hadopi n’est pas conforme » à la Convention européenne des droits de l’Homme, a-t-elle plaidé, en notant qu’il fallait notamment que le jugement soit public, et qu’il respecte la présomption d’innocence.

Finalement, l’article 1er a été adopté sans aucune modification, et les débats sur l’article 2, qui forme le coeur de la loi, ont débuté dans le même esprit avant que les députés ne s’arrêtent pour dîner, avant une reprise des débats à 21H30.

« La loi est très attendue par les artistes, par les musiciens, par les cinéastes de tous bords« , a rappelé Christine Albanel juste avant la suspension. « Ils ne sont pas idiots vous savez, ils ne croient pas que nous sommes en train de défendre quelque chose d’absurde qui n’a ni queue ni tête. Ils savent où sont leurs amis, où sont leurs soutiens« .

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