Note aux lecteurs et membres de Numerama : Le web étant avant tout participatif, Nicolas Dupont-Aignan nous a fait savoir qu’il réagira si besoin dans les commentaires aux questions ou points que vous pourriez soulever.
Numerama : Beaucoup d’internautes ont découvert pour la première fois, avec les débats sur la loi Création et Internet, le fonctionnement de l’Assemblée Nationale, et en sont sortis désabusés, voire désespérés. Comment avez-vous, en tant que député, vécu ce débat, et que dites-vous à ceux qui pensent que les députés ne sont que des godillots ?
Nicolas Dupont-Aignan (NDA) : En premier lieu, les internautes ont pu comprendre pourquoi j’ai quitté l’UMP il y a plus de deux ans à la lumière du triste spectacle auquel s’est livré le parti majoritaire lors de ces débats.
J’ai eu l’impression de revivre ce qui c’était produit lors du passage à l’assemblée de la loi DADVSI : une majorité et un gouvernement sourds aux attentes du peuple qu’ils sont censé représenter, et qui foncent dans le mur car c’est la direction que les copains du Fouquet’s ont décidé de prendre.
Pour répondre à la seconde partie de la question, je suis quand même satisfait que les citoyens finissent par s’en rendre compte, notamment grâce à Internet. On m’a rapporté les propos tenus sur les forums tels que celui de Numérama, PC Inpact ou Framasoft, et l’idée qui ressort souvent, c’est que les parlementaires légifèrent sans connaître les problématiques posées… C’est très grave pour notre démocratie et malheureusement il n’y a pas que pour HADOPI que cela arrive.
Que vous inspire l’affaire Bourreau, où un cadre de TF1 a été licencié pour avoir dit son hostilité à la loi Hadopi à sa députée Françoise de Panafieu ?
Le passage de la loi HADOPI devant notre assemblée a été très mal vécu par les services de la Ministre de la Culture. Et le transfert scandaleux de ce courrier est révélateur d’une drôle d’ambiance… On se demande en effet comment il est possible qu’un cabinet ministériel se livre à de si basses besognes ?
Vous êtes catalogué parmi les « eurosceptiques », et vous redites dans votre « Petit Livre Mauve » que l’Europe est « devenue une machine infernale programmée pour nous enfermer dans un avenir toujours pire« . C’est pourtant bien le Parlement Européen qui a adopté à 88 % l’amendement Bono, contre la riposte graduée votée au Parlement français. N’est-ce pas au contraire le signe que l’Europe est porteuse d’espoir et qu’elle a une action positive pour les citoyens français ?
Je dénonce dans mon livre les institutions non élues et exclues du contrôle démocratique comme la commission ou la cour de justice. Mais cela ne veut pas dire que je suis contre l’Europe, je souhaite simplement qu’elle respecte les peuples.
Il faut bien distinguer deux choses : le Parlement et la Commission. Le Parlement a un pouvoir limité. Vous citez l’exemple de l’amendement Bono (le fameux 138). Cet amendement la commission présidée par Monsieur Barroso et le Conseil Européen n’en veulent pas, et font tout pour le saborder malgré des paroles rassurantes. Ils l’ont d’ailleurs fait fin avril et s’il n’y avait pas eu la vigilance de la Quadrature du Net, l’amendement aurait été vidé de sa substance.
L’amendement 138 est bien connu des internautes mais il existe d’autres textes européens, peu reluisants ceux là, et qui mériteraient la même publicité. J’ai en tête l’article 63 du Traité de Lisbonne qui interdit toute réglementation dans le domaine de la finance, c’est un comble alors que la crise est due, en partie, à l’absence de réglementation. Je pourrais vous citer la Directive Bolkenstein édulcorée adoptée alors qu’on nous avait promis de l’enterrer, et que dire des 65 heures de travail hebdomadaire présentées comme un grand progrès social par les eurobéats.
Je pourrais multiplier ici les exemples mais vous pouvez les retrouver en libre téléchargement dans le petit livre mauve.
En Suède, la lutte contre le piratage et la condamnation des créateurs de The Pirate Bay est en train de porter le Parti Pirate très haut dans les sondages. La London School of Economics projette même qu’il pourrait obtenir deux sièges au PE avec 8,1 % des voix. Qu’est-ce que cela vous inspire ?
De la sympathie. Cet exemple montre qu’il y a une coupure très nette entre les aspirations des peuples et celles des élites, et on la retrouve un peu partout en Europe. C’est pourquoi tous nos candidats s’engagent en faveur du respect des libertés numériques.
Que propose votre mouvement Debout la République pour le droit d’auteur et plus généralement, pour les droits de propriété intellectuelle ?
Sur les droits de propriété intellectuelle, j’ai déjà fait des propositions détaillées dans mes réponses au questionnaire de l’APRIL de 2007, je me permets d’y renvoyer les internautes.
Quant au droit d’auteur à l’ère du numérique, il ne pourra être préservé que dans le cadre d’une licence globale. Le gouvernement n’a pas voulu l’entendre, mais on y viendra de toutes les façons et même de la pire des façons si on ne fait rien, comme l’a expliqué Jaques Attali dans un texte que j’ai lu à Madame la Ministre de la Culture. Car les majors eux-mêmes sont en train de mettre en place une forme de licence globale à leur profit via les forfaits dont sont exclus les artistes qui ne figurent pas dans leurs catalogues…
Et quid sur la neutralité du net ?
Conçu comme un réseau où l’information est décentralisée, Internet est un cauchemar pour les grands médias ou les majors qui n’ont pas su s’y adapter. Les désirs de ces lobbies se retrouvent de temps en temps traduits en projets de loi plus ou moins bien inspirés.
Comme c’est un sujet très technique les gouvernants considèrent qu’on peut faire n’importe quoi, d’ailleurs pendant les débats sur HADOPI, on a souvent entendu n’importe quoi.
Le logiciel espion imposé par l’HADOPI met fin, de fait, par le filtrage, à la neutralité du net. Qu’en sera-t-il quand l’HADOPI s’intéressera non plus à vos habitudes de navigation sur les sites proposants des liens vers des fichiers à partager via le « peer to peer » mais aussi par exemple à ce qu’il y a dans vos courriers ?
En fait ils s’y intéressent déjà ! Le cas de ce salarié dont le courrier, filtré par les services du Ministère de la Culture, a emprunté un chemin qui n’aurait jamais dû suivre, est révélateurs de cette volonté de tout contrôler. C’est le meilleur exemple des dérives du filtrage sauf que, à l’avenir, tout sera automatisé.
En publiant votre « Petit livre mauve » dans une petite maison d’édition sur Internet et sous licence Créative Commons, vous vous êtes sans doute coupés de l’exposition médiatique que permet un éditeur traditionnel, et de vos revenus d’auteur. Pourquoi ce choix ?
La réputation d’un homme politique devrait dans l’idéal être basée sur le respect de la parole donnée, et non sur sa capacité à faire des coups médiatiques ou des bons mots.
J’ai pris l’engagement, à plusieurs reprises, de défendre le libre échange du savoir et de la culture selon les modalités adaptées à chaque support, en défendant la licence globale, les logiciels libres, l’interopérabilité, etc.
La publication de cet ouvrage est donc une étape logique inscrite dans ce combat politique.
C’est en 2006 lors de l’étude de la loi DADVSI et aussi avec ma rencontre avec Richard Stallman et les acteurs du logiciel libre que j’ai découvert un monde dont je ne soupçonnais même pas l’existence, et qui m’a amené à aborder une réflexion de fond sur ces questions qui sont structurantes pour l’avenir de tous.
D’ailleurs le parallèle entre les logiciels propriétaires et l’Union Européenne est évident. Un fonctionnement opaque, couteux et souvent défaillant avec un » service après vente » onéreux et injoignable, quant aux commerciaux ils vous baladent en vous promettant systématiquement que les failles seront corrigées avec la future version.
Pensez-vous qu’Internet est en train de changer la démocratie ? Dans quel sens ?
Oui et dans le bon sens car Internet rapproche les citoyens de l’information et leur permet de se faire une idée précise du contexte dans lequel les décisions sont prises à leur place par leur représentants. C’est le cas pour HADOPI où chacun a pu se faire une opinion en toute objectivité en regardant les débats en vidéo sur le site de l’Assemblée.
Il n’est pas inutile de rappeler aussi la disproportion des forces en présence dans les médias lors du référendum de 2005 où les partisans du OUI bénéficiaient de 80% du temps de parole.
Et c’est sur Internet que s’est fait le vrai débat qui finalement a vu la victoire du NON.
François Bayrou a lui aussi voté contre la loi Hadopi, et beaucoup des critiques que vous faites contre le pouvoir sont également portées par le leader du MoDem, qui appelle à un large rassemblement de l’opposition contre Nicolas Sarkozy. Pourriez-vous le rejoindre dans la perspective des prochaines échéances électorales ?
On ne rassemble pas en s’opposant mais en proposant. Sur le plan intérieur, François Bayrou dit des choses très justes. Mais, au plan européen, on ne peut pas signer tous les traités (dont le dernier en février 2008, le Traité de Lisbonne de Nicolas Sarkozy, avec son article 63) qui nous ont mis dans cette situation, et en même temps dénoncer à juste titre la mainmise du marché sur tout. Il y a là un problème de cohérence, d’où mon désaccord sur les questions européennes.
Pour qu’il y ait convergence il faudrait de la part du MoDem des propositions concrètes, à la fois nationales et européennes. Ce qui implique une rupture dans la pensée centriste traditionnelle sur l’Europe, qui reste très proche de celle de l’UMP et du PS.
Pour finir, y a-t-il un point que nous n’avons pas abordé que vous auriez aimé développer ?
Oui pour conclure rapidement : Debout La République est l’un des principaux partis en nombre de candidats signataires du pacte européen de l’APRIL.
Nos positions dans ce domaine, contrairement à certains plus soucieux de préserver leurs relations avec le monde du » Show-Bizz « , sont sans ambiguïté sur la question (n’oubliez pas le vote des sénateurs socialistes). Et même si dans les médias traditionnels le parcours est plus difficile pour nous, et c’est peu de le dire, nous continuerons invariablement, comme nous l’avons toujours fait depuis DADVSI, d’exiger la licence globale que ça plaise aux grands médias ou pas.
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