Notre article de jeudi soir sur le projet de taxer les FAI proposé par Libération pour financer la presse a suscité de très nombreuses réactions. Y compris contre Numerama. Certains lecteurs nous ont rappelé, en effet, que nous avons longtemps défendu la licence globale pour le financement de la musique en ligne, et qu’il serait donc illogique de ne pas défendre la même idée pour la presse.

Il nous semble dès lors important de clarifier notre point de vue, et d’expliquer en quoi le projet présenté par Libération n’a aucun des avantages de la licence globale, mais tous ses défauts.

Faisons-le de la manière la plus précise et concise possible :

  1. Dans « licence globale », il y a deux mots. Le mot « licence » est synonyme de contrepartie. En contrepartie du paiement d’une redevance, le licencié reçoit un droit qu’il n’avait pas auparavant. Dans le cas de la licence globale pour la musique en ligne, la contrepartie est le droit accordé aux internautes de télécharger et de mettre eux-mêmes à disposition des autres internautes (sur leur blog, les réseaux P2P, les newsgroups…) les œuvres musicales. C’est l’autorisation de l’échange, du partage. A cet égard, Numerama a critiqué l’idée de la Sacem de taxer les FAI sans accorder aux internautes le droit de partager les œuvres. Quelle serait la contrepartie pour les internautes d’une taxe destinée à la presse en ligne ? L’idée qu’elle serait la seule garantie que les internautes puissent continuer à avoir accès à une information « de qualité » est surfaite, et n’est pas prouvée. De la même façon, nous n’étions pas opposés à l’idée de taxer les FAI pour financer le service public de l’audiovisuel, aux conditions qu’il bénéficie à un service public numérique, et que les œuvres produites par le service public soient diffusées sous licence libre. Une taxe sans contrepartie n’est pas une licence, c’est juste une taxe.
  2. Le mot « globale » implique que la licence couvre tous les supports. Or, des échos que l’on en a, la taxe proposée par Libération ne serait destinée, au pire qu’aux grands journaux papiers membres du Syndicat de la presse quotidienne nationale (SPQN), au mieux qu’aux publications qui bénéficient du nouveau statut de la presse en ligne, ce qui exclue les blogs et les sites de presse qui n’engagent pas des journalistes « professionnels ». Or là encore, l’idée que les grands paquebots des sites de presse mériteraient davantage un financement que la multitude de petits navires que constituent les blogs d’amateurs spécialisés dans leur sujet reste à démontrer.
  3. Dans l’idée probablement naïve que nous nous faisons de la licence globale, elle serait destinée à favoriser « les petits artistes ». C’est d’ailleurs la raison principale qui a poussé les majors à la refuser. Si vous accordez aux bloggeurs et à tous les internautes le droit de diffuser librement la musique qu’ils aiment, les artistes de niche jusque là exclus des médias traditionnels ou dissimulés parmi des milliers d’artistes sur les plateformes centralisées comme Deezer pourraient enfin bénéficier de relais médiatiques dynamiques et se faire connaître d’un nouveau public. La licence globale doit favoriser la diversité culturelle, même s’il faut se méfier des clés de répartition pour ne pas tomber dans les travers de la répartition traditionnelle des droits Sacem. Mais pour la presse, en quoi répartir une taxe en fonction du poids du trafic et du nombre de journalistes favorise-t-il la diversité médiatique ? Au contraire, elle incitera aux fusions, à l’uniformisation, à la séduction de l’audimat par les articles les plus racolleurs, et bénéficiera aux plus gros groupes de presse dans une mécanique de cercle vicieux.

Pour toutes ces raisons, il est faux de dire que le projet présenté par Libération est une licence globale pour la presse. C’est uniquement une taxe pour une industrie incapable, comme tant d’autres, d’accepter sa nécessaire mutation à l’ère numérique.

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