Le Conseil constitutionnel a donné raison à tous ceux qui, comme Numerama, s’opposent depuis de très nombreux mois à l’Hadopi pour des motifs républicains : présomption d’innocence, droits de la défense, protection de la vie privée, proportionnalité de la sanction… Mais le gouvernement, encore une fois, s’entête. Il annonce déjà une nouvelle loi pour compléter l’Hadopi. Pour quoi faire ?

Christine Albanel n’abandonne pas le combat. Il n’est pas question pour elle de démissionner, même si elle a poussé sa majorité parlementaire à adopter un texte qui était clairement anticonstitutionnel, comme l’avait prévenu dès le départ Numerama. « Cette censure « est nette, sans appel, claire et particulièrement motivée. C’est la plus sévère depuis une bonne dizaine d’années« , a même commenté auprès du journal Le Monde le professeur de droit constitutionnel Dominique Rousseau. « Le Conseil constitutionnel offre une motivation particulièrement sévère, puisqu’il accuse le gouvernement, à l’origine de cette loi, d’avoir méconnu à la fois la liberté d’expression, le principe de la séparation des pouvoirs et la présomption d’innocence« . Une broutille.

Têtue comme un albanelle (c’est une expression qu’il faudra inventer), la ministre de la culture s’est dit satisfaite jeudi sur Europe 1 que « 90 % de la loi a été validé par le Conseil Constitutionnel, notamment la création de la Haute Autorité qui s’appelle l’Hadopi, tout le processus pédagogique d’envoi des mails, d’envoi des lettres recommandées qui me paraît tout à fait crucial« . Mais elle confirme sa volonté de « compléter la loi », pour maintenir l’idée d’une sanction au bout du parcours de la riposte graduée.

« On peut soit promulguer le texte tout de suite, et ensuite le compléter au Parlement sur la partie qui a été effectivement censurée, soit repartir tout de suite au Parlement pour compléter le texte« , a-t-elle expliqué. « Ce n’est pas moi toute seule qui peut le décider, c’est au premier ministre, c’est au président de la République bien entendu« .

La première solution est la plus crédible. L’Hadopi sera installée à l’automne avec la volonté d’envoyer des messages d’avertissements en masse aux internautes. « Une machine à spams payée par le contribuable« , comme l’a parfaitement résumé la Quadrature du Net. Mais jusqu’à présent, tout ce que le gouvernement a dit au sujet de la loi Hadopi, il l’a fait. Même lorsque nous ne croyions pas possible un retour du texte au Parlement en seconde lecture après son rejet à l’Assemblée, le gouvernement a remué des montagnes pour faire adopter la loi et foncer dans le mur constitutionnel en klaxonant. Il faut donc prendre au sérieux la volonté gouvernementale de « compléter la loi ». Mais il n’y a plus rien à craindre.

La nouvelle loi devra respecter la présomption d’innocence

En renvoyant vers les juridictions judiciaires pour suspendre l’accès à Internet, le Conseil constitutionnel n’a pas durci la loi, comme l’ont prétendu dès hier ses partisans. Il a au contraire exigé un meilleur encadrement des droits de la défense. La nouvelle loi, si elle crée comme le souhaite Frédéric Lefebvre une juridiction d’exception spécialement dédiée à la mise en œuvre des suspensions d’accès à Internet, devra nécessairement tenir compte des exigences du Conseil.

En particulier, comme toute juridiction, le tribunal créé pour l’Hadopi devra s’assurer du respect de la présomption d’innocence, et donc démontrer la matérialité des faits reprochés à l’abonné. Le Conseil constitutionnel a en effet rappelé dans sa décision que les présomptions de culpabilité « peuvent être établies, notamment en matière contraventionnelle, dès lors qu’elles ne revêtent pas de caractère irréfragable (c’est-à-dire que l’on peut matériellement démontrer son innocence, ndlr), qu’est assuré le respect des droits de la défense et que les faits induisent raisonnablement la vraisemblance de l’imputabilité« .

Le Conseil constitutionnel a dit explicitement que le fait de demander au titulaire de l’adresse IP de démontrer qu’il y a eu utilisation frauduleuse de son accès à Internet pour s’exonérer de responsabilité constituait un « renversement de la charge de la preuve« , qui n’était pas acceptable.

Or y compris un tribunal ne pourra pas se baser sur un simple relevé d’adresse IP pour démontrer la responsabilité sûre et certaine de l’abonné. Le problème de la fragilité des preuves, maintes fois démontrées et qui justifiaient l’obsession à vouloir passer par un système administratif automatisé, reste entier. Il ne pourra plus être ignoré.

Faute de preuve suffisante, les tribunaux ne pourront pas condamner les internautes. Quelle que soit la loi édictée dans les prochains mois par le Parlement, elle sera sans effet sur la riposte graduée, puisqu’elle sera totalement inapplicable. Si elle ne risque pas, elle-même, la censure du Conseil constitutionnel.

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