Le saviez-vous ? TikTok n’existe pas en Chine. Fruit du rachat de Musical.ly en 2017, le plus célèbre des réseaux sociaux chinois est exclusif au marché occidental. En Chine, son créateur ByteDance lui préfère Douyin, un clone avec des fonctions exclusives, notamment liées au shopping.
Le fait que TikTok ne soit pas disponible en Chine en fait-il pour autant une application non chinoise ? Ce n’est pas ce que pensent les États-Unis qui, en 2020 et en 2023, ont lancé de grandes enquêtes contre l’application aux vidéos courtes. L’administration de Joe Biden rêve de faire interdire TikTok sur son territoire, pour des raisons de cybersécurité, ce qui pourrait provoquer son effondrement dans le monde entier.
Pourquoi les États-Unis veulent-ils faire interdire TikTok ?
Cette réponse peut sembler un peu caricaturale, mais les États-Unis reprochent surtout à TikTok d’être chinois. Les relations entre la Chine et les États-Unis sont très froides et, comme de nombreux pays, les États-Unis s’inquiètent de la montée en puissance du cyberespionnage en Chine. Même si rien ne prouve que TikTok est une arme d’espionnage, les États-Unis souhaitent jouer la carte de l’ultra-prudence. Pour eux, le réseau social préféré des jeunes ne peut pas appartenir à une entreprise chinoise, puisque la loi l’obligerait à fournir des données au gouvernement chinois si ce dernier l’exigeait.
L’audition de Shou Zi Chew, le patron de TikTok, devant le Congrès le 23 mars, s’est très mal passée. Le Singapourien, qui a plusieurs fois été accusé de servir le Parti communiste chinois, a pu constater de près la paranoïa des États-Unis sur le sujet, qui ne semblent pas du tout vouloir débattre avec un géant chinois. Un élu a même comparé la menace TikTok à Vladimir Poutine.
Au-delà de ces justifications géopolitiques, qui tendent logiquement les relations entre Washington et Pékin, les États-Unis s’inquiètent aussi du temps de cerveau capté par TikTok, particulièrement chez les jeunes. L’application, qui jouit d’une popularité inédite pour un service étranger aux États-Unis, n’est pas vue d’un bon œil par les politiciens américains. Le fait que 150 millions d’Américains l’utilisent, soit pratiquement la moitié du pays, déplaît aux autorités américaines, que l’on peut aussi suspecter de vouloir protéger Facebook, Instagram, YouTube et Twitter. On reproche à TikTok d’inciter à des défis mortels, de provoquer des suicides et d’avoir trop de contrôle sur ce que l’on a le droit de dire et de ne pas dire.
Quand est-ce que TikTok pourrait être interdit ?
Pour interdire TikTok, le Congrès américain mise sur une nouvelle loi : « RESTRICT Act ». Elle autorise les autorités américaines à lancer des enquêtes et à sanctionner les entreprises chinoises, cubaines, iraniennes, nord-coréennes, russes et vénézuéliennes qui proposeraient des services utilisés par plus d’un million d’Américains, au nom de la sécurité nationale. La première cible du RESTRICT Act est évidemment TikTok qui, avec ses 150 millions d’utilisateurs, dépasse largement le seuil nécessaire au lancement d’une procédure. La loi permet théoriquement aux États-Unis de forcer les opérateurs à bloquer l’accès à TikTok, tout en exigeant d’Apple et de Google qu’ils retirent l’application de l’App Store et du Play Store.
L’audition de Shou Zi Chew le 23 mars laisse entendre que l’interdiction pourrait être imminente, puisqu’aucun représentant du Congrès n’a souhaité discuter calmement avec le patron de TikTok. Plusieurs ont affirmé que « le temps de TikTok était révolu » ou qu’il fallait interdire l’application en urgence. Les États-Unis, s’ils décident d’aller plus loin, pourraient inscrire TikTok sur liste noire comme ils avaient pu le faire avec Huawei.
Comment s’est défendu TikTok lors de son audition au Congrès ?
Pour se défendre, TikTok met en avant plusieurs arguments :
- Il est utilisé par 150 millions d’utilisateurs aux États-Unis, qui s’en servent pour se cultiver, se divertir et créer. TikTok les appelle d’ailleurs à témoigner de leur affection pour l’application, pour prouver aux autorités américaines qu’elles pénaliseraient des millions de personnes en agissant aussi radicalement.
- TikTok a permis la création de plusieurs business aux États-Unis et sa disparition pourrait créer de la destruction d’emplois.
- TikTok joue la carte multinationale. Puisque TikTok n’est pas disponible en Chine, ses bureaux sont répartis ailleurs dans le monde, notamment aux États-Unis. TikTok réfute donc l’idée selon laquelle il serait un groupe chinois, malgré son appartenance à un géant chinois. TikTok jure qu’il n’espionne personne et que les données collectées ne servent qu’à l’amélioration de son algorithme, au même titre que les réseaux sociaux américains.
- TikTok rappelle que les craintes des Américains sont basées sur des théories. Rien ne prouve que la Chine a déjà eu accès aux données des Américains.
- TikTok dit que tous les problèmes cités sont valables pour les autres réseaux sociaux, comme Facebook. Cependant, certains élus réfutent cette comparaison, puisque « TikTok est communiste ».
- TikTok promet que son « projet Texas » va lui permettre de stocker les données de tous les Américains aux États-Unis, sous contrôle d’une entité américaine.
Habitué à ne partager que du contenu divertissant, le compte officiel de TikTok a diffusé le 21 mars 2023 une vidéo de son CEO Shou Zi Chew pour expliquer la situation dans un style très américain. Shou Zi Chew est d’ailleurs un entrepreneur de Singapour, qui a succédé à Kevin Mayer, l’ex-patron américain de Disney+. Un autre argument pour tenter de démontrer que TikTok n’est pas une arme chinoise. Mais au Congrès, Shou Zi Chew a souvent été traité comme un Chinois, comme lorsque des représentants lui ont demandé de se prononcer sur les Ouïgours.
TikTok peut-il s’en sortir ?
Oui, car contrairement à Huawei, il ne suffit pas d’interdire sa vente pour le tuer. TikTok étant un logiciel, il ne peut pas être débranché du jour au lendemain. Cela laisse à ByteDance plusieurs possibilités en cas de bannissement, à commencer par un recours judiciaire. WeChat, interdit par Donald Trump, s’en était sorti comme ça. Le logiciel pourrait aussi continuer à être utilisable aux États-Unis à l’aide d’un VPN ou en demandant à ses utilisateurs de changer leur adresse DNS, puisqu’on imagine que le blocage passerait par les opérateurs. Son vrai problème serait sa disparition de l’App Store et du Play Store, qui l’obligerait à passer par une web-app, et qui l’éliminerait possiblement du monde entier.
Avant d’arriver à un bannissement, TikTok pourrait avoir recours à d’autres alternatives pour tenter d’apaiser la colère des autorités américaines.
Le Congrès et le gouvernement de Joe Biden souhaitent un TikTok indépendant de la Chine. La vente de TikTok à un géant américain ou la création d’une entité sans lien avec ByteDance pourraient aussi résoudre le problème, même si ces options obligeraient TikTok à se soumettre aux États-Unis, ce qui pourrait ne pas plaire à la Chine. Comme en 2020, on imagine aussi TikTok jouer la carte des serveurs. En signant un accord avec une boîte américaine comme Oracle, pour promettre qu’aucune donnée émise depuis les États-Unis ne sera envoyée sur les serveurs chinois de l’entreprise, TikTok pourrait aussi sauver sa peau sans être banni. C’est d’ailleurs ce que propose TikTok avec son « Project Texas », qui engagerait ByteDance à stocker les données des Américains aux États-Unis. Cependant, plusieurs élus ne semblent vouloir qu’une interdiction.
Que s’était-il passé en 2020 avec Trump, Microsoft et Oracle ?
Le contenu de cet article vous est familier ? C’est normal, ce qui se passe avec TikTok en 2023 est extrêmement similaire à ce qu’il s’était déjà passé en 2020, sous Donald Trump. En campagne pour sa réélection, l’ex-président américain avait décidé de s’acharner sur TikTok en tentant, lui aussi, de le bannir ou de forcer sa revente à une entreprise américaine.
Forcé de se mettre en vente, TikTok avait choisi Oracle, qui avait des liens étranges avec Trump, plutôt que Microsoft, pour ne pas être interdit aux États-Unis. Donald Trump avait malgré tout continué à menacer de faire interdire TikTok puis, subitement, avait complètement arrêté de parler de ce sujet. Au final, malgré une date limite fixée pour la revente, TikTok avait pu continuer à exister sans être vendu, puisque Donald Trump était trop concentré sur sa défaite à l’élection présidentielle pour s’occuper du sujet TikTok.
TikTok peut-il espérer que tout se termine aussi bien pour lui cette fois-ci ? En 2020, la lutte anti-TikTok était celle de Donald Trump, qui ne s’appuyait que sur ses propres arguments pour faire tomber le réseau social chinois. En 2023, les autorités américaines sont toutes impliquées, et le sujet semble faire consensus chez les Démocrates et chez les Républicains (certains s’en amusent, en expliquant que TikTok a réussi à créer un mouvement de paix au Congrès). Il est peu probable que ByteDance s’en sorte facilement cette fois-ci.
Quel impact en Europe ?
Les débats américains font déjà de premiers ricochets en Europe, où TikTok a été interdit sur les téléphones de plusieurs responsables politiques (en Europe et au Royaume-Uni notamment). La BBC, en Angleterre, est devenue le premier média à interdire à ses journalistes d’avoir TikTok sur leur téléphone.
Si TikTok est interdit aux États-Unis, deux scénarios sont probables en Europe :
- L’Union européenne pourrait suivre les États-Unis, et bloquer TikTok en Europe. Ce serait le scénario noir pour l’entreprise, qui perdrait alors ses deux marchés principaux en quelques mois.
- L’Europe pourrait épargner TikTok, mais l’application perdrait forcément en valeur. Tous les grands groupes américains la déserteraient, tandis que plusieurs institutions européennes risquent de s’en méfier. TikTok pourrait toujours profiter de sa communauté, ce qui devrait préserver son intérêt pour les utilisateurs, mais il sera forcément impacté par une décision américaine. Autre interrogation : TikTok serait-il interdit de l’App Store et du Play Store en France, ou seulement aux États-Unis ?
Comme avec Huawei, le débat autour de TikTok risque d’intéresser beaucoup le monde politique dans les prochains mois, même si peu le comprennent vraiment (les élus américains ont posé beaucoup de questions hors sujet, parfois à la limite du racisme envers les Chinois). Numerama suivra attentivement cette affaire.
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