« Emmanuel Macron arrive à faire l’union de François Ruffin, Laurent Berger, Charles de Courson et Léna Situations », déclarait le député LFI sur BFM mercredi 22 mars 2023, à propos de la très impopulaire réforme des retraites. Ce 6 avril, une nouvelle journée de mobilisation est de nouveau prévue. Le choix de la dernière intervenante citée par François Ruffin n’est pas un hasard : les influenceurs sont l’un des milieux culturels les plus engagés contre ce texte, ou au moins, contre l’usage du 49.3.
Là où de nombreux artistes se font remarquer par leur silence durant cette séquence politique, de nombreux influenceurs — dont certains très célèbres — ont plus ou moins commenté le sujet : Sulivan Gwed, Nota Bene, Seb la frite, Grim, Enjoyphoenix, Freddy Gladieux, Antoine Daniel — difficile de tous les citer. À travers leurs stories sur Instagram, leurs tweets et leurs partages des caisses de grèves, ils ont exprimé leur mécontentement de la gestion du gouvernement ou leur soutien aux manifestations. Le journaliste Vincent Manilève a recensé une bonne partie de ces publications dans un long thread, à partir du 17 mars.
Comment expliquer cette robuste mobilisation des influenceurs ? C’est tout d’abord une question de public, avec une « Gen Z plus sensible aux enjeux sociétaux et humains », selon Carina Cheklit, stratégiste en communication, social média et influence, interrogée par Numerama. De fait, « les abonnés, notamment les plus jeunes, attendent des influenceurs qu’ils ne soient pas que dans la diffusion de contenus, mais qu’ils s’engagent réellement d’un point de vue sociétal et le volet politique peut en faire partie. Ils attendent un engagement sérieux, ce qui pousse sans doute les influenceurs à prendre parti dans ce débat. »
Le public des influenceurs est actif et exigeant
Un public avec lequel les influenceurs sont davantage en interaction que d’autres artistes, en raison de leur présence plus massive sur Twitter, Instagram, YouTube et Twitch. Sur cette plateforme de vidéos en live, il leur est même possible d’interagir directement avec le tchat. Si tous les influenceurs ne sont pas forcément dans l’échange direct, cela n’empêche pas les interactions : en produisant plus de contenus, ils reçoivent également plus de commentaires, donc plus de sollicitations et d’encouragements à s’engager.
Cette sur-présence sur les réseaux sociaux permet aux « influenceurs de connaître l’opinion générale de leur communauté. Ils veulent également être au plus près de la réalité et des contraintes de vie de leurs abonnés pour créer plus de proximité, de lien social et d’interaction », poursuit Carina Cheklit.
Le cas d’Inoxtag, youtubeur aux plus de 6 millions d’abonnés, illustre bien cette pression populaire. Après un premier tweet où il annonçait ne pas prendre de position politique le 20 mars, l’influenceur le supprime le lendemain et publie trois nouveaux tweets où il indique : « On doit être solidaire et je m’excuse de ne pas avoir pris la peine de m’informer correctement. Je suis de votre côté et s’il faut partager des tweets ou cagnottes pour les grévistes je le ferai, j’essayerai de me rendre utile maintenant. »
Ce que Sophie Jehel, professeure en sciences de l’information et de la communication à l’université Paris 8, résume ainsi auprès de Numerama : « Le souci de conserver le lien avec son public conduit certains et certaines à sortir de leur secteur d’influence, au moins ponctuellement, pour donner un signe de solidarité. »
La sincérité de leur engagement remise en question
Le cas d’Inox ouvre la question de l’opportunisme et de la sincérité de ce genre d’initiative, qui a rapidement été mise en doute. Comme le rappelait Vincent Manilève dans son thread, de nombreux influenceurs se sont exprimés après l’intervention remarquée — et saluée — de Sulivan Gwed, ce qui a pu interroger là encore sur le timing. Prise de position ou effet de mode ? Ce dernier affiche pourtant une position claire et ferme. Selon Sophie Jehel, « la plupart des expressions de contestation de la réforme des retraites, ou de l’usage du 49.3 qui ont été formulées par des influenceurs sont très synthétiques » — argument qui a pu être avancé pour chercher à critiquer l’engagement des influenceurs.
On observe ainsi des retweets, des messages comme « Faites attention à vous dans les manifestations », des émojis clown sur les stories du gouvernement ou des simples « Soutien aux grévistes », par exemple. Certes, ce sont des prises de position que l’on pourrait juger peu développées. À titre de comparaison, « Libération a publié une longue tribune adressée au président de la République, signée par 300 personnalités dont des acteurs et chanteurs connus. Le texte est précis et manifeste une forme d’engagement politique plus intense », note la professeure.
Enfin, ce flux de contenus a une autre dimension : les stories Instagram sont par nature éphémères, les tweets se perdent vite dans la masse. De manière globale, selon Carina Cheklit, « nous sommes également dans l’ère du zapping : un sujet va vite être remplacé par un autre en fonction de l’actualité… avec un impact temporaire ».
Des prises de positions efficaces
Mais, attention à ne pas trop noircir le tableau non plus et ne pas brandir trop vite les arguments de l’opportunisme ou des publications éphémères : « Les influenceurs ont une vraie liberté de parole, ce qui fait également leur succès, car leurs abonnés vont pouvoir s’identifier à leur propos totalement spontanés et décomplexés. Les ‘punchilnes’ permettent aussi de se démarquer, et donc de développer des communautés toujours plus nombreuses et plus fidèles », poursuit Carina Cheklit.
Le milieu social d’origine de nombreux influenceurs peut aussi expliquer leurs engagements. Internet étant un milieu assez récent, il est particulièrement propice à l’émergence de transfuges de classes. Ainsi, bien que non directement concerné, le youtubeur Docteur Nozman a évoqué sa mère aide-soignante. Freddy Gladieux parle de son côté de la pénibilité au travail, évoquant ses parents n’ayant pas réussi à atteindre les 60 ans en bonne santé.
Comme l’a indiqué le youtubeur Nota Bene en répondant un tweet : « Moi, je me bats aussi pour ma femme, mes enfants, ma mère, ma sœur, mon frère, pour mes amis, mes voisins, mes proches, les gens avec qui je travaille tous les jours et que je respecte profondément. Ça s’appelle la solidarité. » La solidarité, sans doute la simple raison de cet engagement massif.
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