Le 10 juin dernier, le Conseil constitutionnel censurait le dispositif de la loi Création et Internet qui devait créer l’Hadopi et mettre en place la riposte graduée en France. Vidé de son essence, le texte ressemblait désormais davantage à une Hadopi « à l’anglaise » en émettant uniquement de simples avertissements aux internautes suspectés de télécharger du contenu protégé par le droit d’auteur. Par ailleurs, le gardien de la Constitution estimait que si l’accès Internet n’est pas une liberté fondamentale en tant que telle, il a jugé que néanmoins cet accès est devenu un vecteur essentiel de la liberté d’expression :
« Considérant qu’aux termes de l’article 11 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 : » La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’homme : tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l’abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi » ; qu’en l’état actuel des moyens de communication et eu égard au développement généralisé des services de communication au public en ligne ainsi qu’à l’importance prise par ces services pour la participation à la vie démocratique et l’expression des idées et des opinions, ce droit implique la liberté d’accéder à ces services ;« .
De ce fait, le Conseil constitutionnel a estimé qu’une autorité administrative ne pouvait pas restreindre l’exercice d’une liberté fondamentale ; seule la justice le peut, d’où la décision de replacer le juge judiciaire au coeur du dispositif, seule autorité légitimement autorisée à restreindre les libertés d’un individu.
Depuis, les articles non-censurés ont tout de même été promulgués et publiés au Journal Officiel. Désormais connu sous le nom de « loi n° 2009-669 du 12 juin 2009 favorisant la diffusion et la protection de la création sur internet », ce texte vise à préparer les bases de la prochaine version Hadopi voulue par Nicolas Sarkozy. Car si le Conseil constitutionnel a considérablement affaibli la loi, il n’en demeure pas moins que le président de la République est très déterminé à réguler Internet. Comme l’indiquait Jean-François Copé il y a quelques jours au grand jury RTL-Le Figaro-LCI, le véritable enjeu ne porte finalement pas sur la question des droits d’auteur, mais bien sur la régulation et le filtrage d’Internet. Le but est de reprendre la main sur un espace que le gouvernement ne contrôle pas, contrairement aux médias traditionnels.
Pour reprendre la main sur la question, il était nécessaire pour Nicolas Sarkozy de redéployer ses pions. Hier avait donc lieu le fameux remaniement ministériel qui a permis au président de la République de rebattre les cartes à mi-mandat. Il a tout d’abord sacrifié Christine Albanel qui n’est jamais parvenue à gérer convenablement le dossier Hadopi. Conspuée depuis le début, la loi avait été critiquée par les internautes, les professionnels, l’opposition et de nombreux organes nationaux et européens. Résultat, avec un comportement autiste, Christine Albanel n’a jamais su saisir l’occasion d’améliorer réellement ce texte. Pour un résultat qu’on connait : un détricotage minutieux par les Sages. À la place, le président a placé un personnage pour le moins inattendu : Frédéric Mitterrand.
Comme nous l’indiquions hier, le coup est finement joué. Neveu de l’ancien président de la République François Mitterrand, le nouveau ministre de la culture est considéré dans l’imaginaire collectif comme un homme à gauche. Quoi qu’il en soit, cette nomination permettra au ministre de la culture de moins prêter le flanc aux attaques de l’opposition, notamment socialistes. De plus, Frédéric Mitterrand est un homme de culture (Frédéric Mitterrand fut successivement animateur de télévision, écrivain, scénariste, producteur et réalisateur de documentaires et de films de cinéma) ; il apparait donc légitime dans ce nouveau costume. Mieux encore, Frédéric Mitterrand est rompu aux pouvoirs des lobbys, puisqu’avant de prendre la direction de la Villa Médicis, il avait présidé à la demande de Catherine Tasca la Commission d’avance sur recette du cinéma français, la pièce maîtresse du financement de la production cinématographique en France.
La question qui se pose désormais réside dans la façon dont Hadopi 2 sera gérée par le nouveau ministre de la culture. Seulement, est-ce vraiment Frédéric Mitterrand qui sera en charge de ce dossier ? Rien est moins sûr. En effet, maintenant que le juge judiciaire a été remis au centre du dispositif par le Conseil constitutionnel, il était essentiel pour Nicolas Sarkozy de placer une personne solide à la tête du ministère de la Justice. Rachida Dati étant très affaiblie par les nombreuses réformes qu’elle a mené, elle n’avait plus les épaules nécessaires pour suivre la ligne présidentielle. Exilée à Strasbourg où elle siégera au Parlement européen, elle a donc été remplacée par Michelle Alliot-Marie, une femme politique d’expérience, comme en témoigne ses passages aux ministères de la Défense et de l’Intérieur. Et depuis hier, de la Justice.
L’objectif est clair : colmater les brèches ouvertes par le Conseil constitutionnel et redonner de l’épaisseur à un outil qui n’était désormais plus qu’une machine à spams. Car les internautes risquent fort de vite s’accommoder des e-mails et lettres recommandés si aucune réelle menace ne survient ensuite. Comme le souligne le porte-parole de La Quadrature du Net, le gouvernement fait preuve « d’acharnement thérapeutique« . En effet, ce nouveau texte, Hadopi 2, « va donc permettre au juge d’ordonner de façon expéditive des coupures d’accès afin de forcer des aveux« . « Quand bien même les dossiers seront mal ficelés à partir de preuves sans valeur, bourrés d’erreurs et accusant inévitablement des innocents » prévient Jérémie Zimmerman. « La nouvelle Hadopi sera encore plus coûteuse et inefficace que la précédente !« .
« Un texte de loi complémentaire a donc été rédigé à la hâte pour être présenté ce matin au Conseil des ministres par Michelle Alliot-Marie« , rappelle La Quadrature du Net. Quitte à contourner la sévère censure du Conseil constitutionnel qui avait estimé que Hadopi première du nom était attentatoire à la présomption d’innocence, à la liberté d’expression, au droit à un procès équitable et allait à l’encontre des principes de séparation des pouvoirs.
Il semble clair que la nomination de Frédéric Mitterrand au poste de ministre de la culture n’est qu’un leurre. En réalité, le dossier Hadopi 2 sera vraisemblablement piloté par Michelle Alliot-Marie fraichement investie de son nouveau rôle. Mais, comme le rappelle le collectif citoyen, il est toujours possible pour le nouveau ministre de la culture de freiner des quatre fers afin d’abandonner cette logique répressive et de réflechir à d’autres solutions. D’autres modes de financement de la création qui s’adapteront à ces nouveaux usages institués par l’ère numérique . Car, quand bien même cette loi est absurde et inefficace, elle doit être mise en place. Coûte que coûte. Le président de la République l’a d’ailleurs rappelé lors du Congrès de Versailles : il ira jusqu’au bout.
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