Sans qu’il soit besoin d’utiliser la séance de mercredi soir ou celle de jeudi matin qui avaient été réservées, les sénateurs ont adopté mercredi après-midi le projet de loi relatif à la protection pénale de la propriété littéraire et artistique sur Internet. L’opposition a voté contre à l’exception du groupe RDSE, dans un hémicycle plus désert que jamais. Mais la majorité, soutenue par le Centre, veut aider Nicolas Sarkozy à aller « jusqu’au bout », malgré les arguments présentés par la sénatrice Verts Alima Boumediene-Thiery qui démontrent un nouveau risque d’inconstitutionnalité.
Un seul amendement a été adopté, qui permet aux accusés de demander une audience et de se faire assister par un avocat.
N’intervenant que lors de la discussion générale, la ministre de la Justice Michèle Alliot-Marie a voulu apparaître très sure d’elle, voire arrogante. Et autant que possible rassurante. Très contestée, la procédure instituée par la nouvelle loi sera « sous le contrôle complet de l’autorité judiciaire« , a-t-elle plaidé, notant que le fait qu’il y a un téléchargement ne suffit pas à établir la preuve de la culpabilité, puisqu’il faut que l’abonné ait été averti dans le passé par l’Hadopi, et qu’il n’ait « pas pris les mesures pratiques et concrètes » pour éviter un nouveau téléchargement. Les agents de l’Hadopi établieront des procès verbaux de constations d’infraction, mais ce seront « des éléments de preuve parmi d’autres« , car « il pourra y avoir d’autres preuves allant dans le même sens, ou contrariantes« . Par exemple, l’abonné pourra produire la preuve de l’installation d’un logiciel de sécurisation labellisé par l’Hadopi.
On frôle cependant l’irrespect de la présomption d’innocence. Toute la question étant de pouvoir réclamer des preuves plus solides alors que le texte dispose que les PV dressés par l’Hadopi font foi jusqu’à preuve contraire. Les sénateurs de l’opposition se sont émus du choix de recourir à l’ordonnance pénale pour sanctionner la contrefaçon sur Internet, alors qu’elle ne doit viser que les délits les plus simples, qui sont le moins sujets à contestation (par exemple un taux anormal d’alcoolémie au volant constaté par un agent de la police à l’aide d’un éthylotest). Mais le gouvernement s’est efforcé d’expliquer que la procédure était facultative, et qu’il y avait de multiples scénarios par lesquels une procédure plus classique avec audition de l’accusé sera suivie. Notamment lorsque l’accusé le demande, lorsque le procureur de la République estime que c’est nécessaire, ou lorsque les ayants droit souhaitent se porter partie civile et demander des dommages et intérêts.
Elle a annoncé qu’elle présentera dès le 20 juillet prochain aux procureurs généraux les directives qui doivent les conduire à choisir l’ordonnance pénale ou l’audience publique, à l’occasion d’une rencontre avec eux. A cette date, les députés n’auront pas encore débuté l’examen du texte.
Les Sénateurs contre un « courant libertaire »
Sans crainte du ridicule, Michèle Alliot-Marie a assuré que son projet de loi complémentaire à l’Hadopi « renforce la liberté d’expression des internautes« , et « les libertés fondamentales des internautes qui seront garanties par l’autorité judiciaire« . Mais elle n’a pas répondu aux arguments d’Alima Boumediene-Thiery. A la place, elle a trouvé simplement le prétexte d’un mot contre les magistrats pour défendre à grand coup d’indignation forcée la corporation qu’elle administre, et faire d’une pierre trois coups : esquiver les arguments de son adversaire, se montrer auprès des magistrats alors qu’elle débarque place Vendôme, et envoyer un signal aux syndicats de magistrats qui contestent sa loi. Une vraie professionnelle de la politique.
Le sénateur communiste Jack Ralite a pour sa part regretté une loi qui « ne règlera rien, ni pour les internautes, ni pour les auteurs, mais qui accroît les divisions entre eux« . Il a dénoncé un texte « Hadopitoyable« , qui crée « une situation hadopire » qui n’aboutira « qu’à une victoire à l’Hadopyrhus« . Le socialiste socialise David Assouline a lui prévenu qu’il y aurait rapidement « un calcul de probabilité » réalisé par les internautes, puisqu’en extrapolant les propres chiffres de l’étude d’impact du ministère de la justice, seules 0,03 % des infractions seront poursuivies.
Refusant d’entendre les arguments, les sénateurs ont d’abord rejeté une motion de renvoi en commission présentée par l’opposition, qui estimait que la commission des lois était mieux adaptée à l’étude d’un texte pénal que la commission des affaires culturelles. Ils ont ensuite rejeté l’ensemble des amendements, sauf un sans conséquence, et préservé la possibilité de surveiller y compris les échanges de fichiers par e-mail. Sans véritable débat, par ailleurs anesthésié par un Frédéric Mitterrand totalement monocorde à la lecture des fiches préparées par son ministère, les sénateurs ont adopté le texte en fin d’après-midi sans aucune conviction. Ils savent que le risque d’une nouvelle censure du Conseil constitutionnel est fort. Ou au minimum, que le texte ne sera jamais appliqué dans les faits, sauf quelques cas qu’il faudra fortement médiatiser pour participer à la vocation « éducative » de la riposte graduée.
En concluant les débats, le président de la commission des affaires culturelles du Sénat, le sénateur UMP Jacques Legendre, a regretté un « courant libertaire » qui avait fait pression pour faire obstacle à la mise en œuvre de la loi Hadopi, au nom d’une prétendue « liberté de cueillette ». Il aurait préféré que la loi soit plus rapidement adoptée, pour éviter que ce « courant » (il a répété plusieurs fois le terme) ne se développe. Voilà qui résume l’état d’esprit de la majorité.
Frédéric Mitterrand a pour sa part remercié chaudement Michèle Alliot-Marie, en prenant soin de rappeler qu’elle était désormais « ministre d’Etat », et remercié la Haute Assemblée qui « permet de franchir une étape décisive dans la protection des créateurs« . L’essentiel est d’y croire.
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