On nous promettait une ambiance tendue, elle était bien là. Dans une Assemblée peuplée de près de 350 députés aux moments les plus chauds, majorité et opposition ont commencé à ferrailler autour du projet de loi de protection pénale de la propriété littéraire et artistique sur Internet (Hadopi 2). Exit Christine Albanel. Un ministre part, deux la remplacent. Ca ne sera pas trop. La ministre de la Justice Michèle Alliot-Marie et le nouveau ministre de la culture Frédéric Mitterrand se sont succédés mardi matin pour défendre le texte exigé par Nicolas Sarkozy.
Détendue et souriante, Michèle Alliot-Marie s’est contentée d’un exposé essentiellement factuel du contenu de son projet de loi, saluant un « débat courtois, riche et fructueux » au Sénat – tellement riche et fructueux qu’il avait été achevé en seulement quatre heures avec l’adoption d’un seul amendement mineur. « Je vous présente un texte qui est dans la suite exacte de ce qu’a demandé le Conseil constitutionnel« , a défendu la ministre de la Justice, qui a assuré qu’il n’y aurait « pas de présomption de culpabilité » à l’encontre des internautes pousuivis. Elle a justifié le recours à l’ordonnance pénale par le fait que « les atteintes au droit d’auteur sur Internet sont nombreuses, mais sont relativement simples » à démontrer. Prière de la croire sur parole.
De son côté, Frédéric Mitterrand s’est montré brillant sur la forme, sans exceller sur le fond. Platonique au Sénat, il a cité Platon à l’Assemblée. Le ministre a raconté la fable de l’anneau de Gygès, qui dans La République avait découvert un « anneau magique doté du pouvoir de rendre invisible« . « Il lui suffisait d’un clic, de tourner l’anneau pour disparaître. Il en profita pour voler la femme du Roi et assassiner le Roi« , résuma Mitterrand, qui y voyait une analogique avec le piratage. « Quand on peut disparaître d’un clic, alors c’est beaucoup plus facile de commettre des délits« , reconnaissait le ministre, pensant certainement que la surveillance des échanges induite par l’Hadopi sera suffisante à démasquer les porteurs d’anneaux, alors qu’elle va au contraire les inciter à trouver des anneaux plus efficaces encore…
Le ministre a même failli verser une larme sur l’autel du droit d’auteur, lorsqu’il a raconté qu’il a lui-même « eu des périodes qui n’étaient pas fastes » dans sa vie. Mais « j’ai eu la change d’avoir les droits d’auteur pour tenir le coup« , a-t-il tenté d’émouvoir. Lyrique, il dérape lorsqu’il affirme qu’il ne « veu(t) pas que l’on traîne dans le caniveau des pirates l’hymne à l’amour d’Edith Piaf« . Denis Olivennes, qui avait décrit Internet comme le tout à l’égoût de la démocratie, appréciera la métaphore odorante.
« Trainer des millions de français dans la boue par une telle expression ne va pas régler le problème« , lui répondra plus tard la député Martine Billard. « Vous insultez votre propre famille puisque vous avez dit que votre fils téléchargeait et que vous-même aviez vous-même essayé de télécharger une fois, et que le neveu de la garde des sceaux téléchargeait« .
En réponse à Frédéric Mitterrand qui a encore utilisé l’image exténuée des « chauffards de l’internet » et du code de la route, le député socialiste Patrick Bloche s’est contenté de lire l’avis du Conseil constitutionnel, qui avait noté dans ses travaux préparatoires à la censure de l’Hadopi qu’il n’y avait « pas d’équivalence possible dans la vraisemblance de l’imputabilité » entre le propriétaire d’une voiture qui peut démontrer facilement que son véhicule avait été volé pour commettre une infraction, et l’internaute qui devra prouver que son accès a été piraté à son insu.
« La seule adresse IP ne pourra faire foi« , a répété Patrick Bloche, qui voit dans le nouveau texte une quintuple peine. « Pour le délit de contrefaçon, l’internaute risquera une amende jusqu’à 300 000 euros, 3 ans d’emprisonnement, 1 an de suspension de son accès à Internet, le paiement de son abonnement pendant la suspension alors que rien ne le justifie, et le paiement de dommages et intérêts« , a ainsi résumé le chef de file de l’opposition.
Plus tôt, Frédéric Mitterrand avait justifié le délit de « négligence caractérisée » voulue dans le projet de loi par une nouvelle analogie douteuse. Le texte vise à condamner les internautes qui, avertis plusieurs fois par l’Hadopi, n’auraient pas mis en œuvre les moyens de sécuriser leur abonnement à Internet pour éviter de nouveaux téléchargements illégaux. Une mesure qui vise « la grand-mère qui arrose les plants de coquelicots de son petit-fils en sachant pas qu’il s’agit de plans de haschisch« , a défendu le ministre de la Culture. Il fallait oser la comparaison.
« Le projet de loi conduit implicitement à l’obligation d’installer des moyens de sécurisation dont nous ne savons rien à cette heure, qui risquent de coûter à l’internaute, dont nous ne savons pas dans quelle mesure ils seront interopérables – nous pensons en particulier aux logiciels libres« , a répondu Patrick Bloche. « Il faudra démontrer que l’internaute n’a rien fait pour sécuriser sa ligne, alors que c’est techniquement irréalisable. Il est difficile de justifier une sanction privative de la liberté d’expression et de communication. Vous allez placer les internautes dans une insécurité juridique inacceptable.«
Réagissant aux arguments des uns et des autres, Frédéric Mitterrand a fait court. Dans le plus pur style albanien, les anéfés en moins. « Il y a urgence, pendant que vous parlez le piratage continue« , a simplement répondu le nouveau ministre. « Voilà, c’est tout« , a-t-il conclu sous les broncas des bancs socialistes.
Sans surprise, les motions de rejet préalable et de renvoi en commission défendues en commission ont été rejetées par les députés. La première par 225 voix contre 123. La seconde par 217 voix contre seulement 34. « Il y avait des réunions de groupe » au même moment, a immédiatement voulu justifier le communiste Jean-Pierre Brard en s’adressant aux internautes. Preuve que l’opposition se sait observée de près pendant ces débats.
Après la discussion générale ce matin, l’examen des articles et des amendements débutera ce mardi à 15 heures. Mais dans un climat sans doute plus calme que prévu puisqu’il a déjà été annoncé que le vote solennel sur le projet de loi ne serait programmé qu’en septembre, ce qui donne à chaque camp le temps de s’organiser.
« Le producteur Nicolas Sarkozy nous l’a dit à Versailles, il ira jusqu’au bout« , a rappelé Patrick Bloche en comparant l’Hadopi à une mauvaise série TV américaine. « Ca tombe bien, nous aussi« .
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