Bloquer des sites pornographiques à la volée, sans passer par la case judiciaire : voilà la direction dans laquelle se tourne le gouvernement. De toute évidence, l’exécutif cherche un plan pour accélérer la répression des sites X ne se pliant pas à l’obligation de bien vérifier l’âge des internautes. Il s’avère qu’un texte de loi est en préparation pour avoir les coudées franches.
C’est ce que signale le site Next Inpact, le 25 avril 2023. Le projet de loi, en cours d’examen par le Conseil d’État, inclut une disposition qui doit permettre de contraindre les fournisseurs d’accès à Internet (FAI) à bloquer tel ou tel espace ne se conformant pas aux consignes françaises. Ce pouvoir serait confié l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique.
Actuellement, l’Arcom doit respecter une fenêtre de quinze jours entre la date de mise en demeure du site X sans dispositif viable de vérification d’âge et l’instant où elle peut passer à l’action. L’échéance passée, et faute de réponse du site mis en cause (ou si celle-ci est insatisfaisante), l’Arcom peut alors saisir le tribunal judiciaire de Paris.
À ce moment-là, la justice entre en action et, à l’issue de l’instruction, prononce le blocage et le déréférencement du site fautif. Voilà pour la théorie. Dans la pratique, la judiciarisation des dossiers est lente et les sites pornographiques trop nombreux sur le net pour que cette méthode soit viable. D’où l’idée manifeste de simplifier la procédure, en retirant le juge de l’équation.
Le juge pourrait être sollicité, mais après
Dans la nouvelle mécanique imaginée ici, l’Arcom pourrait contacter les FAI et les moteurs de recherche directement après l’échéance des quinze jours. Les opérateurs Orange, SFR, Bouygues Telecom et Free, mais aussi le moteur de recherche Google, devraient alors prendre des dispositions techniques pour entraver la connexion des internautes ou modifier les résultats de leur recherche.
La disposition figure dans un texte plus large qui doit adapter en droit français les mesures contenues dans deux nouveaux règlements européens ; le Digital Market Act (DMA) et le Digital Services Act (DSA). Le DSA et le DMA regroupent plusieurs nouvelles obligations, notamment à destination des géants du net, pour les forcer à rentrer dans le rang.
Les sites X ciblés par l’Arcom ne seraient toutefois pas privés de tout recours. Il y en aurait toujours un, mais qui ne passera pas par le juge judiciaire. Il faudrait saisir le juge administratif, dans un court délai. Le tribunal offrirait alors un bref répit, pour statuer. En cas de jugement défavorable, la possibilité de former un appel, là aussi dans un court délai, serait toujours possible.
Ce mécanisme bouscule le rôle de la justice. Elle ne serait sollicitée qu’après coup, optionnellement si le site pornographique établit un recours. En outre, la compétence passerait de l’ordre judiciaire à l’ordre administratif, une branche de la justice occasionnellement considérée comme moins indépendante que la première, bien que cette idée soit contestée.
Aujourd’hui, les sites pornographiques n’ont aucun dispositif permettant de vérifier effectivement l’âge des internautes. Dans l’immense majorité des cas, il n’y a qu’une page de garde, avec une question en plein milieu : êtes-vous majeur ? En répondant par l’affirmative, le site vous ouvre ses portes. Parfois, il n’y a même pas de page de garde.
C’est à l’Arcom que revient la capacité de dire si tel ou tel mécanisme de contrôle de l’âge est conforme. Problème, la loi ne dit pas ce qu’il convient de faire. De fait, les sites X sont laissés sans direction. L’Arcom pourrait fournir des lignes directrices — elle en a la possibilité –, mais ces recommandations, si elles existent, n’ont pas été rendues publiques.
La piste privilégiée par le gouvernement est l’usage d’une application mobile dédiée. Développée par une entreprise tierce, elle servira d’interface imperméable entre le site X et l’internaute, pour éviter la circulation de données personnelles. Voilà pour la théorie. En principe, cette application doit être lancée au mois de septembre 2023.
La Cnil considère que ce procédé est une option pertinente — en tout cas l’une des moins préoccupantes. Il n’existe pas de méthode idéale, mais cette option fondée sur la technique du « double anonymat » offre un équilibre entre la nécessité d’avoir une solution déployable, fonctionnelle et efficace, et les enjeux de protection de la vie privée.
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