(CC, natalia.sanmartin)
Le mois dernier, nous vous racontions l’histoire de ces artistes indonésiens qui, pour des raisons religieuses, ne souhaitent pas s’approprier de droit d’auteur sur leur création. Le gouvernement les incitait pourtant à le faire, pour éviter que des pays voisins et concurrents imitent le dessin de leurs batiks et les exploitent commercialement, au détriment de leurs réels inventeurs. L’anecdote montrait comment le droit d’auteur était moins perçu par les Etats comme un moyen de protéger leurs artistes que comme un moyen de protéger un patrimoine économique dans une surenchère constante avec les autres pays.
En Inde, un problème proche se pose. Le gouvernement a du mettre en place une équipe de 200 chercheurs du Conseil de la recherche scientifique et industrielle (CSIR) pour recenser un maximum de positions anciennes de Yoga, appelées « asanas ». Vieilles parfois de plus de 2000 ans, les positions sont considérées comme un savoir traditionnel indien, qui n’appartient à personne. C’est en quelque sorte du domaine public. Mais avec l’engouement occidental pour le yoga, l’Inde constate que la pratique ancestrale devient un véritable business et que les Etats occidentaux acceptent d’accorder des droits de propriété intellectuelle sur des positions de yoga.
Aux Etats-Unis, selon le Telegraph (rapporté par Global Voices), il y aurait déjà plus de 130 brevets, 150 droits d’auteur, et 2.300 marques déposées relatives au Yoga. Le Times of India rapporte que selon les experts, le marché représenterait 225 milliards de dollars en Occident. La figure la plus emblématique du business du yoga est Bikram Choudhury, un indien de Calcutta qui a fait fortune aux Etats-Unis en lançant une véritable chaîne d’écoles de yoga à travers le monde, les Bikram Yoga. Il a déjà ouvert plus de 500 centres, qui sont tous basés sur le même enseignement : 26 asanas pratiqués dans un ordre précis, dans une pièce chauffée à 40,5°C avec un taux d’humidité de 40%. Pour contrôler le marché, il a déposé sa « formule magique » devant les institutions de propriété intellectuelle américaines, qui lui ont reconnu un droit exclusif. Personne ne peut imiter sa méthode et l’enseigner sans reverser de redevances à Bikram Choudhury.
Cette tentative de contrôle du marché du yoga aux Etats-Unis a même donné lieu à la création d’une organisation baptisée Open Source Yoga Unity, qui a tenté de combattre (en vain) l’appropriation des techniques du yoga aux Etats-Unis. Elle a perdu en 2005 un procès contre Choudhury, dont le résultat a été critiqué par les experts qui y ont vu une déviance dangereuse du droit d’auteur.
En Inde, le gouvernement a donc décidé de réagir. En principe, aucun droit de propriété intellectuelle (droit d’auteur, marque ou brevet) ne peut être accordé si l’œuvre ou l’invention préexistait. Les 200 chercheurs ont donc pour mission de remplir une base de données, la Bibliothèque Numérique des Savoirs Traditionnels, qui devra être consultée par les bureaux de propriété intellectuelle dans le monde entier avant d’accorder un droit sur des positions de yoga. Les ouvrages anciens de référence (Hatha Praditika, Gheranda Samhita, Shiva Samhita, Sandra Satkarma, Yoga Sutras…) sont étudiés avec soin et plus de 1500 positions de yoga devraient être référencées d’ici la fin de l’année, pour empêcher leur appropriation. La base de données regroupe photos, description des positions, clips vidéo, et explications orales. Le tout disponible à terme en cinq langues.
Consciente du problème, l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (OMPI) consacre des groupes de travail entiers aux questions de la protection des savoirs traditionnels. Depuis 1998 avec une première table ronde à Genève, l’institution a organisé des dizaines de réunions pour discuter du problème. La dernière en date a eu lieu à Katmandou, au Népal, en novembre 2008. Mais de nombreux désaccords subsistent encore sur l’adoption d’un traité international de protection des savoirs traditionnels.
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