Oui, le milieu du streaming et du jeu vidéo est sexiste. Et maintenant, on fait quoi ? C’est le thème de l’édito de cette semaine dans la newsletter #Règle30 de Numerama.

Vendredi dernier, mon smartphone a reçu une notification intitulée « dans le monde du gaming, le sexisme persiste ». Elle renvoyait vers un article de Libération, qui reprenait lui-même les résultats d’une étude menée par l’IFOP pour le site GamerTop. Ma première réaction a été de pousser un gros soupir. En dix ans de carrière à écrire sur les nouvelles technologies et les cultures en ligne, j’ai vu passer un grand nombre d’études ou d’articles du genre, qui font toujours le même constat : c’est la merde, et ça ne s’améliore pas.

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Cette étude nous rappelle donc un cruel paradoxe. Les femmes jouent quasiment autant aux jeux vidéo que les hommes (elles sont 62% en moyenne à avoir joué à un jeu vidéo au cours des trois derniers mois, contre 66% des hommes) mais elles sont bien moins nombreuses à se considérer comme gameuses (15% pour les joueuses, 29% pour les joueurs) et subissent de nombreuses situations de sexisme qui les poussent à des stratégies de dissimulation. Elles évitent les chats vocaux ou certains jeux en ligne, cachent leur genre aux autres joueurs, etc.

Au-delà de ce constat hélas attendu, l’étude propose aussi quelques pistes de réflexion intéressantes. Par exemple, sur la notion de compétition : 77 % des joueurs entre 15 et 24 ans estiment être « un bon joueur », contre seulement 51 % des joueuses dans la même catégorie d’âge. L’étude a aussi interrogé ses participants masculins sur leurs opinions concernant plusieurs stéréotypes sexistes généraux. Une femme doit-elle prendre le nom de son mari ? Est-il gênant qu’elle gagne plus que son compagnon ? L’homme doit-il prendre les décisions dans un couple hétérosexuel ?

L'étude FLASH IFOP
L’étude FLASH IFOP

Les résultats varient beaucoup en fonction des questions mais, globalement, les hommes qui se disent « plutôt gameurs » ou « très gameurs » sont davantage à adhérer au moins à l’un de ces stéréotypes sexistes (67 % et 64 % respectivement) que ceux qui ne se sentent pas gameurs (60 %). Rien qu’avec ces quelques chiffres, on ouvre des possibilités d’analyse plus fines que la simple conclusion « le gaming est sexiste ». Pourquoi tant de crispations autour de l’identité de gameur ? Quelles sont les différences entre un joueur sexiste et un homme sexiste ?

Traiter du sexisme, ce n’est pas que constater ses dégâts

Je veux être très claire : je suis ravie qu’on étudie désormais le sexisme en ligne, et que les médias traitent ce sujet essentiel. Ce qui n’empêche pas de s’interroger sur comment il est traité. La semaine dernière, le journaliste Samuel Etienne a été très critiqué pour son émission L’Hebdo est tienne (diffusée sur Twitch) où quatre hommes bien connus du milieu des jeux vidéo et du streaming étaient invités à réagir à l’actualité du moment, dont cette fameuse étude.

Un débat sur le sexisme dans le milieu des jeux vidéo organisé sur la chaîne Twitch de Samuel Etienne.
Un débat sur le sexisme dans le milieu des jeux vidéo organisé sur la chaîne Twitch de Samuel Etienne.

L’animateur s’est défendu en direct puis sur son compte Twitter, en expliquant qu’il avait programmé son plateau longtemps à l’avance (qui, on peut le noter, n’est pas systématiquement paritaire). « Le sexisme est une chose trop grave pour que les garçons ne puissent pas s’en emparer, comprendre leurs torts éventuels, réfléchir aux solutions », a-t-il commenté. Je suis plutôt d’accord. Mais après avoir regardé le débat en question (disponible ici), je me dis qu’on pourrait quand même faire mieux que quatre mecs qui citent les expériences de femmes dans leur entourage (puisque absentes du plateau) et qui jurent qu’ils ne sont pas sexistes (selon qui ?)

Ce n’est qu’un exemple parmi un océan d’émissions et d’articles similaires. Toujours la semaine dernière, la streameuse féministe Nat’ali a publié un thread Twitter énervé sur le traitement médiatique du sexisme dans le gaming, visiblement un peu fatiguée de n’être interrogée que sur ce sujet. En cause : des journalistes qui restent systématiquement en surface.

Car traiter du sexisme, ce n’est pas que faire le constat de ses dégâts. C’est s’interroger sur son aspect systémique, mais aussi notre place dans ce système.

C’est donner la parole aux femmes, mais aussi parler des enjeux économiques et politiques de la modération, du fonctionnement des médias et des réseaux sociaux, de sociologie des communautés en ligne, de responsabilités des créateurs, des mécanismes de viralité, d’histoire des nouvelles technologies et de leur marketing, de notre mépris à la fois du féminin et du numérique, de construction de la virilité et de la solidarité masculine.

C’est arrêter de se taper sur l’épaule entre potes au moindre micro-progrès ou, au contraire, de faire semblant de découvrir l’étendue du problème tous les six mois. C’est accepter les critiques et parfois la honte. Surtout, c’est comprendre que parler du sexisme ne suffit plus.

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