L’impact incontestable du numérique sur le travail et l’équilibre économique de la société tout entière est-il conjoncturel et peut-il être absorbé dans le temps sous l’effet de la main invisible, ou est-il structurel au point de nécessiter des réformes sociétales d’envergure pour dessiner la société de demain ?
Le Conseil national du numérique (CNNum) remettait ce mercredi matin au gouvernement un rapport prospectif sur le travail, l’emploi et le numérique, commandé en décembre 2014 par le ministère du travail. Il y effectue un tour d’horizon assez complet des problématiques sociales soulevées par le numérique et la robotisation, en prévenant d’emblée qu’il est « indispensable d’affirmer que la période que nous traversons est celle d’une évolution systémique, exceptionnelle et rarement connue dans l’histoire de l’humanité ».
« En ce sens, ajoute-t-il, il ne s’agit pas d’une crise, mais d’une métamorphose. (…) au-delà des dispositifs à construire, des actions à mener, des plans à mettre en œuvre, ce sont les conceptions mêmes que nous nous faisons d’un certain nombre de phénomènes qu’il s’agit de faire évoluer, telles que les définitions que nous assignons aux notions d’emploi, de travail et d’activité ».
Le Conseil note qu’à l’heure actuelle, « dans beaucoup d’entreprises, être performant impose de contribuer à sa propre obsolescence », ce qui résume tout le problème. La société semble entrer dans une ère où il devient plus rapide de détruire un emploi que d’en créer un nouveau, et les efforts de souplesse, d’adaptation et de formation des travailleurs ne suffisent plus.
Un revenu pour les contributeurs de Wikipédia
Néanmoins, le rapport n’est pas révolutionnaire face à cette métamorphose. L’essentiel de ses 20 propositions sont soit des réformes déjà engagées, soit des recommandations quasi culturelles qui s’adressent aussi bien à l’État qu’aux entreprises, pour faire évoluer leurs pratiques et leurs priorités.
Sur le sujet très attendu de l’Uberisation et de la dépendance des « travailleurs indépendants », qui sera au cœur du projet de loi Macron 2, le Conseil refuse de prendre une position ferme. Il s’oppose à la création d’un statut spécial pour le « travailleur indépendant économiquement dépendant », en préconisant plutôt de renforcer un socle de droits communs aux salariés et aux indépendants. Mais il recommande de « ne pas faire du modèle unique du travailleur salarié l’alpha et l’oméga de toute politique publique de l’emploi ». Il se dit toutefois favorable au soutien des plateformes coopératives comme Fairmondo ou Cellabz, qui cherchent à supprimer la dépendance à des intermédiaires, ou la remontée exclusive des profits.
Le revenu de base ou « revenu universel »
C’est finalement par petites touches et avec réserves que le CNNum s’adresse au fond du problème, structurel. Au détour d’une page, il préconise par exemple d’ « explorer l’éventuelle mise en place d’un revenu contributif », une usine à gaz qui permettrait de ne plus rémunérer seulement le travail au profit d’une entreprise, mais toute contribution aux richesses matérielles ou immatérielles de la société, par exemple pour les contributeurs de Wikipédia qui passent des heures à enrichir le savoir commun.
La toute dernière proposition du CNNum, la seule véritable révolution économique face à l’automatisation massive du travail, concerne toutefois le fameux « revenu de base » dont le nombre des soutiens ne cesse d’augmenter. Il s’agirait de fournir à tous les citoyens, quelle que soit leur condition sociale et leur activité, un même revenu minimum, qu’ils seraient ensuite libres de compléter avec une activité professionnelle quelconque.
Un revenu de base à 800 euros en Finlande
Ce revenu de base remplacerait les aides sociales (et donc, accessoirement, éviterait d’avoir à traquer des fraudeurs), et serait juste suffisant pour s’offrir l’oisiveté ou le temps de contribuer à des tâches que la société marchande ne rémunère pas toujours, comme l’art, ou le partage de la connaissance.
« Cette dernière approche est au cœur d’âpres débats (…) d’autant plus vifs que la même piste peut être abordée par des prismes politiques radicalement différents : ses défenseurs se situent quasiment sur l’ensemble de l’échiquier politique », remarque le Conseil. Officiellement le CNNum « ne prend pas position sur cette question », mais il recommande tout de même de :
- Réaliser une étude de faisabilité incluant un travail de simulation macro-économique du passage à un revenu de base inconditionnel, et des études analysant les effets des différentes propositions, aussi bien sur le plan économique que social.
- Prévoir un cadre d’expérimentation dans des territoires pilotes volontaires (la région Aquitaine a décidé d’étudier la faisabilité d’un RSA universel en juillet 2015).
L’idée est encore relativement tabou en France, mais elle fait son chemin ailleurs en Europe. Le pays le plus avancé est la Finlande, qui a voté le versement d’un revenu de base à 800 euros mensuel, versé à partir de 2017 à tout résident du pays, sans aucune autre condition. Avant elle, d’autres pays l’ont testé comme la Namibie, l’Inde, le Brésil ou les États-Unis (en Alaska). D’autres projettent d’adopter un revenu universel comme les Pays-Bas, où une trentaine de municipalités doivent tester dès ce mois-ci le versement d’un revenu de base, jusqu’à 1 300 euros par foyer à Utrech.
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