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Ma mère est morte juste avant la fête des Mères. À l’époque, j’étais trop engoncée dans mon deuil tout neuf pour me soucier de cet étrange timing. Je passais devant des pubs dans la rue m’incitant à lui acheter un bouquet de fleurs et je riais jaune. Au moins, me disais-je, j’avais bien fleuri sa tombe.
Les années qui ont suivi son décès, cette coïncidence de calendrier est devenue plus pénible. Les publicités dans la rue n’étaient pas le pire de mes problèmes. J’ai commencé à me méfier de ma boîte mail, noyée sous les messages de réclame sirupeux dès le début du mois de mai (les Américain·es célèbrent la fête des Mères deux semaines avant les Français·es), me proposant de choyer ma mère avec des bijoux, des produits de beauté ou des appareils électroménagers (elle aurait probablement détesté les trois).
J’aimerais vous dire que tout cela me passait au-dessus, mais ce harcèlement marketing me faisait l’effet de milliers de petites coupures de papier. Je n’allais pas en mourir. En revanche, c’était très efficace pour me rappeler constamment que ma mère, elle, était bien morte.
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J’ai d’abord vu d’un bon œil les initiatives de marques proposant une option pour ne pas recevoir de messages concernant la fête des Mères. Parce que l’expérience de la mort est universelle et qu’on devrait pouvoir l’évoquer sans tabou, même pour simplement cocher une case « ne pas recevoir ce genre de mails ». Parce qu’il y a plein d’autres excellentes raisons pour éviter ces publicités, comme une mauvaise relation avec sa mère ou l’absence totale de figure maternelle dans sa vie. Mon soulagement était-il un peu naïf ? Ces dernières semaines, j’ai lu plusieurs critiques et nuances nécessaires à ce sujet. La journaliste Kate Lindsay a par exemple exprimé son malaise dans un récent numéro de sa newsletter Embedded. « Je suppose que quand une marque me propose d’éviter ses mails pour la fête des mères, c’est qu’elle espère qu’on la félicite pour son empathie, à défaut de faire augmenter ses ventes.»
Les mères sont omniprésentes sur internet
Ces réflexions illustrent bien notre relation complexe, parfois intime, au marketing en ligne. Oui, entendre parler de la fête des mères quand votre propre mère est décédée, c’est assez pénible. Pour autant, signifier à une marque qu’il s’agit d’un point sensible n’est pas un acte anodin. Toute ma vie ou presque a déjà été transformée en données. Ce que je regarde, ce que je lis, ce que je consomme, une partie de qui je suis. Dois-je aussi y ajouter mon plus grand traumatisme ? Quelque part, rejeter cet exercice d’empathie commerciale, c’est refuser la norme de l’omniprésence des publicités dans nos vies en ligne. C’est aussi accepter d’être mal à l’aise ou triste à cause d’elles. Car le deuil n’est pas censé être une expérience simple et fluide, et on peut parler de la mort sans forcément inclure des entreprises dans ce dialogue.
Enfin, ce débat révèle en creux l’importance accordée aux mères sur internet. On peut déjà noter que l’on s’inquiète moins des mails pour la fête des Pères (pourtant, des pères sont aimés et meurent aussi), probablement parce que l’évènement fait l’objet d’un marketing un peu moins intense. Mais surtout, parce qu’il existe tout un espace en ligne dédié à la maternité. On parle de « mommy internet », pas de « daddy internet ». Non pas parce que les mères sont mieux valorisées que les pères dans la société, mais parce qu’elles sont considérées comme un groupe de consommatrices à séduire. Les momfluenceuses, ces créatrices de contenus qui mettent en scène leur maternité, sont pour la plupart héritières de la figure traditionnelle de la bonne mère dans les publicités. « La mère parfaite n’a pas été créée par les femmes, c’est une construction directe des hommes pour maintenir leur pouvoir », explique Sarah Petersen, autrice de l’essai Momfluenced, qui déconstruit la place particulière de la mère sur les réseaux sociaux. Y compris, donc, dans son absence. Une maman ça rapporte, qu’elle soit vivante ou morte.
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