Les élections en Turquie ont été l’occasion pour le fondateur de Wikipédia de moquer les positions d’Elon Musk sur la liberté d’expression, qui ne seraient que de l’affichage.

Des élections importantes se déroulaient dimanche 14 mai 2023 en Turquie, avec les législatives ainsi que la présidentielle. L’enjeu est considérable pour le pays : il s’agit de savoir si Recep Tayyip Erdogan va parvenir à se maintenir au pouvoir après vingt ans à la tête du pays, et si son parti politique, l’AKP (le Parti de la justice et du développement), restera majoritaire.

Une décision prise la veille de ce double scrutin a toutefois soulevé la question de la liberté d’expression en Turquie, et incité le fondateur de Wikipédia, Jimmy Wales, à donner une leçon à Elon Musk, le patron de Twitter. Le réseau social a fait savoir le 13 mai que de la censure a été appliquée en Turquie pour restreindre l’accès à certains contenus.

« En réponse à une procédure judiciaire et pour garantir que Twitter reste disponible pour les Turcs, nous avons pris des mesures pour restreindre l’accès à certains contenus en Turquie aujourd’hui. Nous avons informé les titulaires de compte de cette action conformément à notre politique. Ce contenu restera disponible dans le reste du monde », déclarait un compte officiel de Twitter.

La nature des contenus en cause n’est pas précisée dans l’annonce de Twitter, mais cette décision a inévitablement généré des commentaires peu flatteurs à l’égard d’Elon Musk. Comment se fait-il que Twitter masque des contenus alors que son patron se présente comme un militant absolutiste de la liberté d’expression ? N’est-ce qu’un slogan ?

Le 12 mai, l’intéressé se disait encore intraitable sur le sujet, en réponse à un internaute qui réagissait à la nomination de Linda Yaccarino à la tête du site. « Je suis catégorique quant à la défense de la liberté d’expression, même si cela signifie perdre de l’argent », indiquait-il. Musk s’est réservé à la place les postes de directeur technique et de président du conseil d’administration.

Des contenus liés à l’opposition masqués sur le Twitter turc ?

C’est toutefois un autre commentaire qui a fait réagir Jimmy Wales. Le 13 mai, veille du vote en Turquie, un éditorialiste de Bloomberg, Matthew Yglesias, a déclaré que le réseau social s’est soumis à une requête du gouvernement turc pour limiter la visibilité des contenus de l’opposition. Erdogan pourrait perdre contre son challenger, Kemal Kiliçdaroglu.

« Le gouvernement turc a demandé à Twitter de censurer ses opposants juste avant les élections et Elon Musk s’est exécuté. » Matthew Yglesias a ajouté, en guise de tacle contre le milliardaire américain, que cela « devrait donner lieu à des reportages intéressants sur les Twitter Files ».

Les Twitter Files sont le nom donné à des divulgations censées montrer une censure contre la droite américaine, organisée en interne par le réseau social. Dans les faits, les Twitter Files ne sont pas si spectaculaires que ce qu’Elon Musk promettait. Ses accusations de censure des voix conservatrices étaient inexactes ou excessives, ont montré des médias comme France Info, Libération ou Le Monde. Le contenu de ces documents était déjà globalement connu sur les dysfonctionnements en matière de modération sur la plateforme.

Toujours est-il que c’est ce message qui a fait réagir Elon Musk : « Vous avez perdu la tête, Yglesias ? Le choix consiste à étrangler Twitter dans son intégralité ou à limiter l’accès à certains tweets. Lequel voulez-vous ? », a-t-il lancé, en mobilisant le sophisme du faux dilemme pour l’occasion, comme s’il n’y avait que deux issues et que sa décision était nécessairement la moins mauvaise.

Jimmy Wales
Jimmy Wales. // Source : Joi Ito

C’est là que le fondateur de Wikipédia est entré dans la danse, en montrant qu’il y avait une autre possibilité : celle de se battre en justice. Une possibilité qui marche : c’est cette stratégie que la fondation Wikimédia a suivie au tournant des années 2020, pour obtenir le rétablissement de l’accès à l’encyclopédie en ligne en Turquie, après des années de blocage.

« Ce que Wikipédia a fait : nous avons défendu nos principes et nous nous sommes battus jusqu’à la Cour suprême de Turquie et nous avons gagné. Voilà ce que signifie traiter la liberté d’expression comme un principe plutôt que comme un slogan », a déclaré Jimmy Wales, en taclant vertement Elon Musk sur son terrain de prédilection.

Les deux situations sont telles toutefois absolument analogues ? Le message laissé par Jimmy Wales montre que ce parallèle avec Wikipédia est en tout cas contesté. Toujours est-il que si la voie choisie par Wikipédia est possible, c’est un chemin qui peut être très long. Il a fallu attendre pratiquement trois ans pour que Wikipédia soit réadmis en Turquie.

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