C’est un sujet qui préoccupe au plus haut point le procureur de la République de Paris, François Molins. Invité ce vendredi sur France Inter pour discuter de la menace terroriste qui pèse sur la France et la vague d’attentats qui s’est déclenchée depuis le 7 janvier 2015, le magistrat a décrit le chiffrement des données et des communications comme l’un des principaux obstacles à la lutte anti-terroriste.
« Tous les smartphones qu’on essaie aujourd’hui d’exploiter sont verrouillés et cryptés. Toutes les communications qui sont passées par les terroristes aujourd’hui sont passés à l’aide de logiciel de cryptage », fait savoir François Molins, qui se refuse à donner les noms des logiciels en question. Quelques-uns d’ailleurs semblent plus appréciés que d’autres. « Il y en a certains, on les retrouve chaque fois ».
Résultat, ces terminaux sont pratiquement impénétrables. « C’est effectivement un gros souci qu’on a dans la mesure où les évolutions technologiques et les politiques de commercialisation d’un certain nombre d’opérateurs font que si la personne ne veut pas donner le code d’accès on ne peut effectivement plus rentrer dans les téléphones », ajoute François Molins. Et cela peut nuire aux enquêtes.
Huit smartphones n’ont pas pu être pénétrés à cause du chiffrement.
Le procureur de la République a ainsi cité l’affaire Sid Ahmed Ghlam, dans laquelle il y a « toujours un téléphone […] dans lequel on n’a pas pu pénétrer ». Et il ne s’agit pas d’un cas isolé. Se basant sur les éléments remontés par la police judiciaire, François Molins relève que pas moins de huit smartphones « n’ont pas pu être pénétrés dans des affaires de terrorisme ou de crime organisé ».
Se pose alors la question de la capacité des services à surmonter cet obstacle qui, d’après le magistrat, rend la justice « aveugle dans certains cas ». Est-ce que les autorités sont si démunies ? En fait, pas totalement. François Molins explique que dans ces cas là, il reste toujours possible « d’engager d’autres investigations plus traditionnelles », mais celles-ci seraient largement moins précises.
C’est ce que rappelait d’ailleurs Zythom, un informaticien expert judiciaire, dans le cadre d’une interview pour Libération autour du chiffrement. « Lorsqu’un enquêteur, ou un expert judiciaire, doit analyser un ordinateur ou un téléphone et que les données sont correctement chiffrées, il est bien évidemment bloqué. Si son enquête ne repose que sur cet élément, il est définitivement bloqué, ce qui est regrettable ».
Mais Zythom ajoutait que les dossiers s’appuient heureusement sur d’autres pièces. « Mais dans les dossiers que j’ai eu à traiter, ce cas de figure n’est jamais arrivé : un dossier ne repose jamais uniquement sur le contenu chiffré d’un ordinateur ou d’un téléphone. Il y a toujours d’autres éléments dans le dossier, et il s’agit d’ajouter encore des éléments de preuve (à charge ou à décharge) pour le compléter ».
Un dossier ne repose jamais uniquement sur le contenu chiffré d’un ordinateur ou d’un téléphone
L’argument de la cécité complète et définitive apparaît donc comme exagéré. Il existe en effet des alternatives : écouter les contacts de la cible, placer des micros dans son domicile ou dans sa voiture, procéder à une filature, et ainsi de suite. Cela étant dit, le commentaire de François Molins sur le chiffrement relance une fois de plus le débat sur l’équilibre à trouver entre la vie privée et la sécurité.
Comme nous le disions au moment où le procureur de la République signait dans la presse, avec plusieurs homologues étrangers, une tribune critiquant la décision prise par Apple et Google de chiffrer le contenu des téléphones mobiles sur iOS et Android, jusqu’où une société libre et démocratique doit-elle accepter d’aller dans la suspension des libertés pour assurer sa sécurité ?
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