C’est un mouvement qui a commencé par les logiciels, qui s’est prolongé par la musique, les écrits ou les vidéos, et qui continue à se développer chez les créateurs. L’open source gagne l’univers de la mode. La maison de couture allemande Burda a lancé le mois dernier le site BurdaStyle, qui permet aux amateurs de mode de télécharger des patrons de couture « open source », qui peuvent être librement utilisés, y compris pour vendre les vêtements créés. Ils l’expliquent ainsi sur leur blog :
« En créant BurdaStyle, nous avons été captivés par la philosophie ‘Open Source »: le partage de la propriété intellectuelle, ouverte et disponible selon les besoins spécifiques du public. Nous avons assimilé le concept à Burdastyle, supprimant les droits d’auteur de nos patrons: ils sont disponibles en tant que base pour vos propres designs. Cependant, cela ne signifie pas qu’ils soient totalement gratuits, les bénéfices effectués couvrent les coups de production de nos patrons haute gamme. Néanmoins, et c’est là que cela devient excitant, qu’importe ce que vous créez, vous pouvez le vendre, si vous le voulez! Nous croyons qu’en supprimant les droits d’auteur nous émulerons : créativité et multiplication de nouveaux designs, et ça, c’est simplement merveilleux !«
L’occasion pour nous de s’attarder un peu sur le rôle de la propriété intellectuelle dans la haute-couture. Un domaine que nous n’avons pas pour habitude d’explorer, mais qui révèle que la propriété intellectuelle n’est pas toujours le plus fructueux pour une industrie.
Aux Etats-Unis, dans les années 1930, la Guilde des Créateurs de Mode avait interdit à ses membres de copier les créations des autres, et exigé des détaillants qu’ils ne vendent pas les vêtements créés par les « pirates » de la mode. Mais en 1941, la Cour Suprême a estimé que ces pratiques étaient anticoncurrentielles, et abolit l’idée d’une propriété intellectuelle sur les conceptions de mode. Depuis, l’industrie de la mode prospère comme aucune autre industrie créatrice, sans droit d’auteur pour protéger ses créateurs. Une exception riche d’enseignements.
Une étude menée en 2006 par deux chercheurs des universités de Los Angeles et de Virginie avait en effet conclu que « l’industrie de la mode opère de manière contre-intuitive à l’intérieur d’un équilibre de faible protection de la propriété intellectuelle dans lequel la copie ne décourage pas l’innovation et peut en fait la promouvoir« . C’est ce qu’ils ont appelé « le paradoxe du piratage« , puisque les droits d’auteur sont censés encourager l’innovation et la création, dans la croyance habituelle que le piratage nuit à l’innovation et tue la création.
Kal Raustiala et Christopher Jon Sprigman démontraient dans leur étude que « la copie fonctionne comme un élément important (de la création) et peut-être même comme un prédicat nécessaire au cycle d’innovation perpétuelle de l’industrie« . Les créateurs de mode se copient les uns les autres pour installer une mode différente chaque année, et sont obligés de chaque fois innover pour se démarquer les uns des autres. L’industrie dans son ensemble profite du cycle d’innovation très élevé de la mode, puisque chaque année les consommateurs achètent de nouveaux vêtements pour ne pas devenir démodé.
Mieux, l’industrie du luxe profiterait même de la contrefaçon. En effet, plus il y a de copies, plus l’original prend de la valeur. Les copies servent uniquement à faire connaître et perdurer la marque dans l’imaginaire collectif, au service du fabricant. Ce qui n’est vertueux, toutefois, que si les copies restent suffisamment éloignées de l’original pour rester reconnaissables. C’est toute la différence entre le droit d’auteur, qui protège l’objet lui-même, et la marque commerciale qui garantit la traçabilité de l’objet.
Pour autant, malgré toutes les preuves par l’exemple et les recherches qui démontrent que l’absence de propriété intellectuelle est bénéfique à la mode aux Etats-Unis, un projet de loi a été présenté pour donner des droits de propriété nouveaux sur les créations de mode aux maisons de couture.
Mais le Design Piracy Prohibition Act est vécu par les petits producteurs de mode, très majoritaires dans l’industrie, comme un grave danger. Il donnerait en effet aux seules grandes entreprises de mode la possibilité d’attaquer les petits créateurs dès qu’ils réalisent un vêtement plus ou moins proche d’une création originale. Ce qui aura le même effet inhibiteur que les brevets sur les petites entreprises qui n’ont pas les moyens, soit de protéger leurs inventions, soit de vérifier que leur idée n’est pas déjà brevetée : ils découragent l’innovation et donnent aux grandes entreprises le seul pouvoir de créer, avec l’assurance de ne pas être concurrencé.
A méditer la prochaine fois que vous lirez que le droit d’auteur encourage l’innovation, ou que le piratage tue la création.
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