Ça n’a franchement pas grand chose à voir avec la « République numérique » qui donne son intitulé au projet de loi d’Axelle Lemaire, et c’est surtout le reflet d’une vision très passéiste des médias, inscrite dans une loi qui prétend préparer l’avenir. À l’occasion de l’examen de la loi numérique, et surtout à un peu plus d’un an des élections de 2017, les députés ont fait ajouter en commission des lois un nouvel article 9 bis qui vise à mieux connaître le temps de parole des différents partis politiques à la télévision.
L’amendement impose que le CSA « communique chaque mois aux présidents de l’Assemblée nationale et du Sénat et aux responsables des différents partis politiques représentés au Parlement le relevé des temps d’intervention des personnalités politiques dans les journaux et les bulletins d’information, les magazines et les autres émissions des programmes ». Il est précisé que cette publication doit faire l’objet d’une publication « dans un format ouvert et aisément réutilisable, c’est-à-dire lisible par une machine », pour que des développeurs puissent créer des applications qui affichent le temps de parole des candidats et de leurs partis.
Une vision passéiste des médias
« Actuellement, le CSA ne transmet ces informations que très tardivement et ne publie ces relevés qu’en PDF, ce qui diminue leur intérêt », s’était émue la députée Isabelle Attard pour présenter cet amendement. Le gouvernement s’y était dit défavorable, non pas pour le principe, mais parce qu’il estimait que la loi numérique qui contient une obligation générale d’Open Data suffirait à poser cette obligation au CSA, sans qu’il soit besoin de préciser explicitement celle-ci.
Il est toutefois absurde que dans une loi sur le numérique figure un article qui montre à ce point une vision dépassée des médias et des temps de parole politique, focalisée sur la radio et la télévision.
Qu’est-ce que veulent dire 1 heure de télévision sur France 2 en deuxième partie de soirée lorsqu’aujourd’hui une séquence de 5 minutes d’un humoriste s’adressant au Premier ministre peut être vue près de 900 000 internautes sur YouTube ?
Qu’est-ce que contrôler le temps de parole des responsables politiques à la radio ou à la télévision lorsqu’aujourd’hui les positions sur Google ont une importance peut-être plus grande encore qu’un débat télévisé pour déterminer les partis qui apportent une réponse aux préoccupations des électeurs ?
Est-il vraiment important de savoir quel candidat à la présidentielle a parlé 10 minutes de plus qu’un autre au journal de TF1 le dimanche soir, lorsqu’ils peuvent aujourd’hui s’adresser autant qu’ils veulent à des millions d’internautes qui s’abonnent à leurs pages Facebook, ou lorsque Twitter peut recommander de s’abonner aux tweets de tel candidat plutôt que tel autre ?
Faut-il imposer un même nombre de tweets à tous les candidats en période électorale ? Plafonner le nombre de vidéos qu’ils peuvent diffuser sur YouTube ? Restreindre leurs nombre d’amis sur Facebook ? Obliger les plateformes à ne pas recommander de s’abonner à des personnalités politiques ?
Et si l’on s’intéressait plutôt à la démocratie ?
C’est à ce type de questions, évidemment absurdes, qu’une loi « pour une République numérique » aurait dû s’attaquer, plutôt que de s’intéresser encore et toujours à la radio et la télévision, qui ne sont elles-mêmes plus diffusées comme au XXe siècle, mais se sont embarquées dans la révolution du podcast et de la VOD. À défaut de trouver d’impossibles solutions aux temps de parole et aux taux de visibilité dans le numérique, la loi d’Axelle Lemaire aurait pu prendre acte du fait que le contrôle des temps de parole par le CSA était une solution du siècle dernier qu’il fallait supprimer dans le siècle qui s’ouvre.
La loi aurait pu alors ouvrir la voie à un véritable débat, lié aux institutions de notre République et à la prime donnée à la visibilité, et à ceux qui ont les moyens (financiers, organisationnels,…) de se rendre visibles. N’est-il pas temps de s’intéresser enfin à la démocratie ?
Le problème n’est peut-être pas tant les temps de parole des candidats, que l’accès à la candidature et la corruption intellectuelle des élus, qui n’ont plus comme conviction que celle qu’il faut tout faire pour être élu et réélu. Le problème est dans l’absence de représentation démocratique à l’Assemblée, voire dans l’illusion de démocratie offerte par l’élection, alors que d’autres voies plus modernes pourraient s’ouvrir pour créer une véritable « République numérique » inscrite dans l’ère du temps, plus égalitaire et plus représentative. Il pourrait s’agir de la démocratie liquide, d’une représentation par tirage au sort, ou d’un autre système qui reste à inventer.
Mais il est moins exigeant et dangereux de s’intéresser aux temps de parole du CSA, seule vraie préoccupation des partis politiques à un an et demi des élections.
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