Selon les fournisseurs d’accès à Internet et opérateurs mobiles, le filtrage des contenus pédophiles que souhaite mettre en place le gouvernement avec le projet de loi Loppsi coûterait jusqu’à 140 millions d’euros, pour un résultat que l’on sait déjà nul.

Le projet de loi d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure (Loppsi) défendu par Brice Hortefeux a été repoussé à 2010, mais le ministère de l’intérieur continue de travailler pour aller au plus vite vers un filtrage du net sous contrôle discrétionnaire de l’Etat. Nos confrères de PC INpact révèlent ainsi que deux groupes de travail sont actuelement à l’œuvre pour définir les futurs décrets d’application du projet de loi, l’un dédié aux questions juridiques, l’autre aux modalités techniques. Dans un traditionnel souci « d’efficacité », le gouvernement anticipe déjà le vote du Parlement, qui une fois encore ne pourra intervenir qu’à la marge.

Pour alimenter le groupe technique, la Fédération Française des Télécoms (qui regroupe Bouygues Telecom, SFR, Orange et Numericable) a adressé une étude d’impact sur le filtrage des contenus pédophiles souhaité par le gouvernement. L’étude conclut, comme l’avait fait Free, que le filtrage est au mieux inefficace, au pire extrêmement coûteux pour une efficacité de toute façon douteuse. « Plus la technique de blocage est précise, plus elle est coûteuse et plus elle présente un risque de congestion au niveau de l’équipement d’inspection (DPI), qui se matérialise le jour où un site à fort trafic (ex. Google, Youtube…) est inséré dans la liste des sites à bloquer« , note ainsi l’étude d’impact.

Elle estime que le coût du filtrage peut monter jusqu’à 140 millions d’euros pour une technique très invasive d’inspection profonde des paquets (DPI), qui consiste à examiner chacune des communications des internautes pour vérifier la licéité du contenu. Un problème éthique extrêmement important, pour une solution de toute façon inefficace dans les cas de chiffrage des communications.

Selon les opérateurs, « les solutions de blocage (…) ne permettent d’empêcher que les accès involontaires à des contenus pédopornographiques disponibles sur le web (à travers le protocole http)« , mais pas d’empêcher les réseaux pédophiles de prospérer. « Il est à souligner que tous les contenus diffusés sur les réseaux Peer-2-Peer, Usenet, Chat de type IRC ne sont pas inscrits dans le périmètre de blocage. Or d’après une enquête (…), IRC est depuis 20 ans une des principales plateformes d’échange d’images pédopornographiques« .

Comme tout filtrage, celui imposé par le gouvernement et mis en œuvre par les FAI posera des problèmes collatéraux. Soit le filtrage est trop grossier et présente un risque de surblocage (par exemple si l’on bloque l’adresse IP de tout un serveur pour bloquer une seule page), soit le filtrage veut être le plus précis possible et devient alors impossible à mettre en œuvre techniquement dans des coûts raisonnables. De plus, toutes les techniques de blocage même les plus efficaces peuvent être contournées, par l’installation de sites miroirs, par changement réguliers d’adresse IP, par proxys, par réseaux anonymants de type TOR, par l’utilisation de DNS tiers ou encore par des contournements de type fast-flux.

« Il est fort à parier que dès lors que le blocage sera effectif, les sites spécialisés dans les techniques de contournement vont se multiplier, réduisant ainsi fortement l’efficacité du dispositif« , prédit la Fédération Française des Télécoms.

En Australie, qui fait figure de pionnier malheureux dans le filtrage du net, même des associations de protection de l’enfance se sont dressées contre la mesure gouvernementale. « Le filtrage obligatoire de l’internet limite nos droits de l’Homme sans offrir la moindre protection aux enfants (…) Nous estimons que les dizaines de millions de dollars qu’un tel procédé va coûter devraient à la place être dirigés vers des autorités de protection de l’enfance appropriées et de police, pour prévenir la maltraitance des enfants, et vers des stratégies d’éducation efficaces (…) qui donnent aux enfants et aux parents les connaissances requises pour se protéger eux-mêmes« , avait ainsi regretté un collectif d’associations de défense des enfants.

Mais la pédophile ne sert bien sûr que de prétexte populiste pour enfoncer la porte du filtrage, alors-même que les premiers producteurs de contenus pédopornographiques sont les enfants eux-mêmes, et que l’écrasante majorité des internautes n’est jamais tombée au hasard de sa navigation sur des contenus pédophiles. Le véritable objectif du gouvernement n’est pas de protéger les enfants mais de les utiliser pour e filtrer plus largement le net, par exemple pour contrôler les jeux d’argent en ligne, et plus généralement l’accès à l’information sur Internet.

D’où notre impossible mais nécessaire opposition au filtrage des contenus pédophiles sur Internet.

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