Président du groupe UMP à l’Assemblée nationale, Jean-François Copé publie régulièrement des tribunes sur Slate.fr. Samedi dernier, le député a ainsi mis en ligne une longue intervention où il invite tout à la fois internautes et députés à poursuivre le débat sur le numérique et les libertés. Sans doute que ces problématiques l’intéressent vraiment, malgré des signaux pas nécessairement très réconfortants. Ne défrayiat-il pas la chronique en glissant au de RTL que « Hadopi n’est que le point de départ ?« . On se souvient égalment de sa saillie mal inspirée en mai dernier : Jean-François Copé s’insurgeait contre une Europe qui élevait l’accès à Internet comme un élément essentiel de droits fondamentaux comme la liberté d’expression.
Pour autant, son intérêt manifeste pour ces sujets révèle sans doute un manque de maîtrise dans quelques sujets qu’il évoque à travers son long discours. Ainsi, le député nous explique dans sa chronique que « pour beaucoup d’internautes, une œuvre intellectuelle n’appartient plus à son auteur. Par principe, elle doit être gratuite« . À ces mots, on ne peut s’empêcher de repenser à une citation de Victor Hugo, prononcée lors du Discours d’ouverture du Congrès littéraire international de 1878, revenue en force lors des discussions autour du projet de loi Hadopi :
« Le livre, comme livre, appartient à l’auteur, mais comme pensée, il appartient – le mot n’est pas trop vaste – au genre humain. Toutes les intelligences y ont droit. Si l’un des deux droits, le droit de l’écrivain et le droit de l’esprit humain, devait être sacrifié, ce serait, certes, le droit de l’écrivain, car l’intérêt public est notre préoccupation unique, et tous, je le déclare, doivent passer avant nous« .
Mais est-ce que pour autant les internautes ne jurent que par le tout gratuit ? Certainement pas. Ce n’est pas parce qu’une œuvre intellectuelle est mise à disposition gratuitement qu’elle n’appartient plus à son auteur. Jamais il n’a été question de déposséder un auteur de ses droits sous prétexte que son œuvre est gratuite. La principal problème est une certaine rigidité de la législation actuelle face à certains nouveaux comportements nés lors de l’essor du haut-débit.
Et se pose la délicate question : la société doit-elle s’adapter aux textes de lois ou le droit doit-il s’adapter à l’évolution de la société ? Si la question est à des lieues d’être résolue, il n’en demeure pas moins que des initiatives nouvelles se développent pour apporter des solutions à ces problématiques.
Les licences Creative Commons sont justement une manifestation éclatante de cet état de fait : celles-ci ne retirent nullement les droits de l’auteur, mais les réaménagent de façon à donner plus de latitudes aux internautes souhaitant redistribuer, modifier ou même commercialiser une œuvre ou un travail. En citant évidemment l’auteur ou la source.
C’est un cadre beaucoup plus souple qui satisfait tout le monde. On ne compte plus les blogs qui placent leurs contenus sous ce type de licence, sans pour autant abandonner des objectifs de monétisation. Les deux coexistent assez bien finalement. Il est donc essentiel de saisir que c’est bel et bien un choix de rendre une œuvre gratuite et d’opter pour une logique non-marchande des contenus.
À cela, Jean-François Copé souligne une dérive inévitable : « le contenu d’excellents blogs se retrouve parfois intégralement copié/collé sur d’autres sites, sans rémunération, ni citations, ni renvoi aux sources« . C’est une évidence, tenir un blog, c’est du travail. Cela prend du temps et demande de la réflexion pour publier de nouveaux billets. Surtout lorsqu’il s’agit de faire un suivi, de la recherche ou de l’actualisation.
Si les licences Creative Commons résolvent de nombreux soucis, des indélicats peuvent toujours passer outre les recommandations de l’auteur initial. Mais généralement, entre personnes de bonnes compagnies, un simple échange de mails permet de résoudre bien des ennuis. Rares sont les complaintes publiques d’ailleurs. Tout se règle en coulisse, dans le calme.
Les articles de Numerama sont ainsi publiés sous une licence Creative Commons BY-NC-ND 2.0, autorisant leur reproduction, distribution et communication au public à condition de respecter trois critères : « citer le nom de l’auteur original de la manière indiquée par l’auteur de l’œuvre ou le titulaire des droits qui confère cette autorisation » (paternité), de respecter ledit article en n’apportant aucune modification, adaptation ou transformation et de ne pas utiliser un article à des fins commerciales. Ainsi, les sujets publiés sur Numerama sont gratuits et accessibles à tous, sansque les auteurs respectifs ne soient totalement dépouillés de leurs droits.
Par ailleurs, quelle est donc cette image uniforme qu’ont les hommes politiques des internautes ? Les usages, les profils sont incroyablement variés sur le Réseau des réseaux. Tout cela variera en fonction de nombreux critères : l’âge, le sexe, l’origine sociale, les intérêts, les attentes, la localisation géographique… une chose est sûre, l’internaute français est loin d’être uniforme et identique à ses congénères. Et de ce fait, tous n’ont pas la même approche de la propriété intellectuelle. Certains respecteront scrupuleusement la législation en vigueur, d’autres choisiront de ne s’intéresser qu’à des contenus libres et/ou gratuits, pendant que quelques-uns auront des pratiques d’adolescents lambdas adeptes du téléchargement et du partage.
Personne ne parle donc d’abandonner la propriété intellectuelle, hormis Jean-François Copé lui-même. Mais son existence et son utilité ne doivent pas être un frein à une réflexion nécessaire à sa révision. Avec le déferlement de l’ère numérique et de la redéfinition de certaines comportements, ne serait-il pas temps de l’adapter au XXIe siècle ? Le député semble être disposé à cette idée : « Doit-elle s’adapter au monde numérique? Sans doute. Et sur ce point, je suis ouvert à toutes les discussions« . Et à nouveau, la problématique « de la rémunération et de la reconnaissance des auteurs, des artistes et des intellectuels en général » se pose.
Pour préparer ce « chantier extrêmement large et ambitieux » sur l’éthique numérique, Jean-François Copé souhaite « définir les règles qui permettront que l’essor formidable du numérique n’étouffe pas les libertés mais les grandisse« … et remarque que la Commission Nationale de l’Informatique et des Libertés a déjà plus de trente ans d’existence. Pour le politique, il serait donc grand temps d' »inventer la CNIL du 21e siècle« .
Peut-être est-ce un projet qui s’avère nécessaire, tout comme l’augmentation des moyens financiers de la CNIL. Sauf que, depuis l’épisode malheureux de la HADOPI (Haute Autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur internet), on ne peut s’empêcher de s’inquiéter de l’état des autorités administratives indépendantes dès que les pouvoirs publics y touchent…
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