Le gouvernement n’a adressé que mardi ses observations au Conseil constitutionnel, qui répondent aux arguments de l’opposition à l’encontre du projet de loi Hadopi 2. Il y défend une Hadopi qui n’a qu’un rôle d’enquête préliminaire, avant action du juge, dont la validité des preuves n’aura pas à être vérifiée si l’abonné passe aux aveux. L’abonné innocent, quant à lui, sera tout de même coupable s’il ne protège pas son accès à Internet.

Il aura pris tout le temps disponible. Le gouvernement n’a déposé que mardi ses observations relatives au recours déposé par les députés socialistes au Conseil constitutionnel à l’encontre du projet de loi de protection pénale de la propriété littéraire et artistique sur Internet (Hadopi 2). Point par point, il répond aux arguments de l’opposition pour tenter de défendre la légalité de son texte au regard de la constitution, alors que la première version de la loi Hadopi a déjà subi les foudres des sages au début de l’été. Cette fois, assure le gouvernement, « l’objectif de la loi déférée est de parachever, en tenant scrupuleusement compte des prescriptions de la décision du 10 juin 2009, le dispositif de réponse graduée« .

Le lecture des observations, révélées par la Quadrature du Net, permettent d’en savoir plus sur les intentions du gouvernement. Elles sont clairement de miser sur l’intimidation et les aveux, à défaut de pouvoir prouver solidement les délits dont seront suspectés les internautes.

Ainsi, le ministère de la Culture insiste sur le fait que l’Hadopi n’a plus un rôle de sanction comme dans la première version, mais « un simple rôle d’investigation« . Elle a « pour mission de procéder à des enquêtes sur les éléments préliminaires qui lui seront transmis par les ayants droit, en recueillant les observations de la personne concernée et en procédant à son audition, soit d’office, soit à sa demande« . Pour le volet sanction, il y aura « intervention systématique d’un juge« , prévient le gouvernement.

Sur la solidité des preuves apportées par les ayants droit à l’Hadopi, le gouvernement se veut rassurant. Il veut « dissiper tout risque de présomption défavorable à la personne poursuivie« . L’Hadopi, dit-il, devra accomplir « de nombreuses diligences de fond et de procédure« , pour « dégager de manière solide les faits susceptibles de donner lieu » à des sanctions. Mais « sans aucunement présenter de caractère automatique« .

Le ministère a ainsi prévu un certain nombre de garanties pour vérifier la sincérité des preuves apportées : agrément du ministère en cours de validité pour les agents des sociétés d’ayants droit qui procèderont au relevé des adresses IP, vérification qu’ils sont bien assermentés dans les règles, vérification de la titularité des droits sur les œuvres pour vérifier que l’infraction est bien une violation d’un droit d’auteur… De plus, la procédure d’investigation des agents de l’Hadopi sera « placée sous la direction du procureur de la République, du procureur général et de la chambre d’instruction« . A lire la réponse du gouvernement, on en viendrait presque à croire que les droits seront mieux encore mieux respectés par l’Hadopi qu’ailleurs.

Mais le gouvernement oublie l’essentiel : quelle est la force probatoire d’un relevé d’adresses IP ?

Sur ce point, rien ou presque. Simplement la reconnaissance que les PV établis par les agents assermentés de l’Hadopi ne seront que « de simples renseignements« , qui ne seront pas des preuves irréfragables. « La personne concernée pourra spontanément transmettre ses observations dès réception de la première recommandation« , et il y aura même « convocation systématique dans les cas les plus épineux (…) selon les instructions données par le parquet« . Enfin l’Hadopi ne peut pas violer la présomption d’innocence puisque puisque « ce sont les magistrats qui décident de la qualification de l’infraction« .

En cas de doute, il pourra y avoir délégation d’une enquête de police judiciaire pour vérifier les faits. Mais ça ne sera pas systématique.

Pourquoi ? La réponse est aussi savoureuse qu’inquiétante :

« Il pourra se produire que le titulaire de l’abonnement à Internet entendu par les agents de l’autorité reconnaisse avoir téléchargé lui-même des fichiers. Dans ce cas, une enquête complémentaire pourra ne pas être nécessaire, et des poursuites pour contrefaçon pourront être engagées, le cas échéant par ordonnance pénale« . C’est Christine Albanel qui, en son temps, avait la première évoqué la possibilité de troquer des aveux contre une peine amoindrie.

Pire encore : « Il pourra arriver que ce titulaire ne reconnaisse pas être l’auteur des téléchargements, mais s’abstienne de sécuriser son accès Internet malgré la mise en demeure de l’autorité l’invitant à y procéder. Dans ce cas également, il est vraisemblable qu’aucune enquête complémentaire ne sera nécessaire, et des poursuites par ordonnance pénale pour la contavention de négligence caractérisée seront alors possibles« .

On s’étrangle. L’abonné innocent pourra tout de même se voir infliger une mise en demeure de sécuriser son accès à Internet, et sera condamné s’il ne fait pas le nécessaire. Voilà donc l’objectif du gouvernement : faire pression sur l’internaute lambda pour le pousser à installer des filtres sur son accès à Internet, même s’il en fait un usage légitime. Orwellien.

Dans sa réponse, le gouvernement précise que « la négligence caractérisée consistera à ne pas, sans motif légitime (notamment financier ou technique), sécuriser son accès Internet en dépit d’une recommandation valant mise en demeure adressée en ce sens par la Hadopi« . Mais on ne sait toujours pas comment, concrètement, sécuriser son accès à Internet. Ce sera défini par décret, assure-t-il.

Le Conseil constitutionnel a jusqu’à la fin du mois pour rendre son avis.

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