Mise à jour : RSF n’a utilisé cette note qu’à des fins internes, et ne l’a pas transmise au Conseil constitutionnel, comme nous l’explique l’association sur cet article de précisions.
C’est pour l’association un des motifs qui l’a conduit à faire reculer la France au 43ème rang des pays protégeant la liberté de la presse, et plus globalement la liberté d’expression. Très hostile au projet de loi Hadopi 2, Reporters Sans Frontières (RSF) a transmis au Conseil constitutionnel une note juridique sur les motifs d’inconstitutionnalité du projet de loi défendu par Frédéric Mitterrand et Michèle Alliot-Marie.
La note de cinq pages denses, rédigées par un comité de professeurs de droit et d’avocats, conteste la conformité à la constitution du projet de loi sur quatre grands axes :
- L’absence de nécessité de la loi : la suspension de l’accès à Internet est selon RSF une mesure « non adaptée et non nécessaire à l’objectif poursuivi« . « La liberté d’expression doit faire l’objet d’une attention toute particulière car c’est bien elle, et non le droit de propriété, qui est en danger aujourd’hui face à une lutte pour la protection des droits d’auteurs qui se trompe de cible« , note la fondation qui insiste sur la nécessité de « trouver un équilibre entre deux droits fondamentaux« . Pour elle, « la suspension de l’accès à Internet est contraire à la Constitution, et plus particulièrement à l’article 8 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen puisque portant atteinte à la liberté d’expression. Cette sanction ne peut être justifiée que si elle se révèle strictement et évidemment nécessaire et adaptée à l’objectif poursuivi« .
- La création d’une nouvelle infraction contraire aux principes constitutionnels : RSF estime que le nouveau délit de « néligence caractérisée », créé par la loi Hadopi 2, « piétine tous les principes fondamentaux de la procédure pénale« . « Cette disposition viole l’article 8 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen, prévoyant que la loi soit établie préalablement au délit, et contredit la jurisprudence du Conseil Constitutionnel, qui exige qu’un texte de loi soit suffisamment précis« . Il pose aussi un problème de preuve pour l’abonné qui se voit reproché une négligence : « Comment prouver, de bonne foi, que la tentative de sécurisation a échoué ?« . RSF prend l’exemple du piratage de la Bbox, qui « montre la dangerosité de cette nouvelle sanction« . L’association estime que l’obligation d’installer un pare-feu homologué par l’Etat, pour s’exonérer de toute responsabilité, serait une « intervention étatique illégitime dans la liberté individuelle contraire à l’article 4 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen« . Pour elle, « la loi admet implicitement qu’il est presque impossible de prouver la responsabilité de l’internaute, et fait peser contre celui-ci une présomption de culpabilité« .
RSF critique ainsi la mise en œuvre d’une « présomption irréfragable de culpabilité« . « Le titulaire d’accès à Internet est considéré comme coupable, jusqu’à preuve du contraire, preuve d’autant plus difficile qu’il devra lui-même l’apporter« . Un point contraire à l’article 9 de la Déclaration des Droits de l’Homme, qui fait partie du bloc de constitutionnalité observé par le Conseil.
Enfin, RSF estime que la sanction viole le principe de personnalité des délits et des peines, puisque « c’est l’ensemble des locataires d’un logement partagé, l’ensemble de la cellule familiale qui seront concernés par la sanction. Etre condamné pour un fait que l’on n’a pas commis constitue une violation des articles 7, 8 et 9 de la DDHC« . - La procédure : RSF considère que le recours à l’ordonnance pénale, procédure accélérée sans audition préalable du prévenu, ne permet pas les « garanties suffisantes » en matière de protection des droits de la défense. Elle juge le choix de l’ordonnance pénale « extrêmement dangereux« , puisque « cette procédure express soulève des inquiétudes sur l’impartialité, l’efficacité et l’expertise nécessaires à l’examen de dossiers aussi complexes que ceux liés au téléchargement illégal« . Elle rappelle qu’il est beaucoup plus difficile de déterminer l’auteur d’un téléchargement que de constater un simple excès de vitesse, qui fait l’objet d’une procédure accélérée. « Le juge du tribunal correctionnel sera tenu de se prononcer sur des investigations effectuées par l’Hadopi, titulaire de prérogatives de police judiciaire, pour une instruction du dossier à charge puisque c’est à l’internaute de prouver qu’il n’est pas responsable des infractions reprochées. »
- L’atteinte au principe d’égalité devant la loi : « La surveillance effectuée par l’Hadopi concerne le réseau Peer to peer mais ne s’appliquera pas aux systèmes plus complexes et élaborés tels que les Newsgroupes ou les VPN« , rappelle RSF, qui estime donc que « les internautes aguerris ne seront pas inquiétés outre mesure« . Par ailleurs, elle note que « la sanction ne s’appliquera pas de la même manière entre les personnes reconnues coupables« , puisque seuls les internautes en zone dégroupée pourront voir leur accès suspendu, « ce qui est une atteinte au principe d’égalité devant la loi défini à l’article 6 de la Déclaration des Droits d l’Homme et du Citoyen« . De même, Frank Riester avait prévenu que « l’accès à Internet ne serait pas coupé s’il est fait un usage professionnel de celui-ci par l’internaute reconnu coupable », alors que « le droit d’un particulier et d’un professionnel à la liberté d’expression reste le même« . Pour RSF, « cette discrimination est contraire aux articles 6, 10 et 11 de de la DDHC« .
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