La Cour européenne des droits de l’homme a condamné mardi la Hongrie pour son excès de zèle dans la régulation des commentaires illicites sur Internet. Elle estime qu’il faut éviter d’encourager les éditeurs à censurer les commentaires de leurs lecteurs, tout en rappelant les exceptions fixées par une précédente jurisprudence.

C’est une ligne jaune bien difficile à suivre que la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) tente de tracer en matière de liberté d’expression sur Internet, dans l’arrêt Magyar Tartalomszolgaltatok Egyesülete et Index.hu Zrt c. Hongrie rendu ce mardi 2 février 2016. La Cour a en effet eu le souci de préserver la liberté d’expression en s’opposant à ce qu’un site Web soit jugé responsable des commentaires laissés par les internautes, mais tout en maintenant une jurisprudence précédente beaucoup plus contestable.

En l’espèce, l’affaire concerne un portail d’informations hongrois, Index.hu, qui emploie les services d’une association (Magyar Tartalomszolgáltatók Egyesülete) pour modérer les commentaires laissés par les internautes.

La justice hongroise avait jugé que les deux partenaires étaient responsables pénalement de commentaires laissés par des visiteurs du site internet, qui criquaient vertement les pratiques commerciales trompeuses de deux sites d’annonces immobilières. Les tribunaux avaient estimé que les commentaires en cause étaient injurieux, voire diffamatoires, et qu’ils portaient atteinte à la réputation des sites en cause, ce qui créait un préjudice qui justifiait leur suppression.

« Un effet dissuasif sur la liberté d’expression »

Dans son arrêt, la CEDH estime que la Hongrie a violé l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme, en ne cherchant pas un juste équilibre entre la liberté d’expression qui doit être garantie, et l’intérêt des sites commerciaux lésés. La Cour estime que même s’ils étaient injurieux, l’illégalité des commentaires n’était pas manifeste, et qu’il n’y avait donc pas à reprocher au média d’avoir choisi de les laisser en ligne.

Pour la CEDH, rechercher la responsabilité pénale de l’éditeur d’un site Web qui laisse en ligne un commentaire « peut avoir des conséquences négatives prévisibles sur l’environnement des commentaires d’un portail sur Internet, par exemple en l’incitant à fermer l’espace de commentaires », ce qui aurait un « effet dissuasif, direct ou indirect, sur la liberté d’expression sur Internet ».

La Cour européenne des droits de l'homme

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Delfi ou Index.hu ? Deux jurisprudences qui coexistent

Mais en livrant cet arrêt, la Cour a tenu à dire qu’il ne fallait pas y voir de revirement par rapport au très contestable arrêt Delfi AS de juin 2015, qui avait imposé la responsabilité première des éditeurs de sites commerciaux (et uniquement ceux-là) qui laissent passer des commentaires haineux ou qui appellent à la violence physique, même s’ils n’ont pas été notifiés de leur existence. La Cour avait été jusqu’à encourager l’utilisation de filtres pour détecter les mots qui reviennent le plus souvent dans les commentaires racistes.

Pour justifier la coexistence de ces deux arrêts difficiles à faire cohabiter, la CEDH rappelle que deux critères avaient prévalu dans Delfi AS, qui ne sont pas dans Index.hu :

  • Le fait qu’il s’agissait de commentaires haineux dont l’illégalité était manifeste, et la gravité particulièrement élevée sur le plan des valeurs anti-discriminatoires qui prévalent à la Convention européenne ;
  • Le fait que l’éditeur du site en cause avait un intérêt commercial à ce que ses lecteurs publient des commentaires (pour Index.hu, la modération était laissée à une association, qui n’avait pas de but lucratif direct dans son action).

Il s’agit toutefois d’une ligne bien difficile à tracer en pratique, et il eut été préférable que la CEDH opère un revirement complet en comprenant qu’au minimum, un éditeur de site internet ne doit pas être tenu responsable des propos publiés par ses lecteurs, jusqu’au moment où il est alerté et choisit de les laisser en ligne. C’est l’état du droit communautaire au sein de l’Union européenne (tel qu’il est traduit en France par la loi pour la confiance dans l’économie numérique), et c’est sans doute l’équilibre le plus sain. Mais la CEDH ayant primauté sur le droit communautaire, il sera bien difficile pour les hébergeurs et les éditeurs de savoir à quel saint se vouer.

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