Le groupe de travail sur la détention arbitraire (WGAD) de l’ONU a publié son avis dans l’affaire Julian Assange, et demande que la liberté de mouvement de Julian Assange soit respectée. Il estime que la Grande-Bretagne et la Suède détiennent arbitrairement le fondateur de Wikileaks, et violent son droit à un procès équitable.

La nouvelle avait déjà fuité jeudi, mais elle est officielle depuis vendredi matin. Le Groupe de travail de l’ONU sur la détention arbitraire (WGAD) a rendu public son avis (.docx) dans lequel elle conclut que « la privation de liberté de [Julian] Assange est arbitraire » et qu’elle constitue donc une violation de la Déclaration universelle des droits de l’homme (DUDH) et du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP). Ce dernier est un traité qui engage les états signataires, dont fait partie la Grande-Bretagne.

S’appuyant sur l’article 9.5 du PIDCP qui dispose que « tout individu victime d’arrestation ou de détention illégale a droit à réparation », le WGAD conclut que « la réparation adéquate serait de s’assurer du droit à la liberté de mouvement de M. Assange », en plus d’une réparation financière. En d’autres termes, il est demandé à la Grande-Bretagne de laisser le fondateur de Wikileaks quitter librement l’ambassade de l’Équateur où il a trouvé refuge depuis l’été 2012, et donc de ne pas exécuter le mandat d’arrêt européen délivré par la Suède.

Pourquoi Julian Assange est « détenu arbitrairement »

Pour arriver à cette conclusion, le Groupe de travail estime tout d’abord que Julian Assange fait l’objet d’une « privation continue de liberté » depuis 2010. Il avait en effet fait l’objet d’une première détention préventive de 10 jours, avant d’être assigné à résidence pendant 550 jours et de trouver enfin asile auprès de l’ambassade londonienne de l’Équateur.

Or les experts de l’ONU notent que « la seule base de la privation de liberté de M. Assange apparaît être un Mandat d’Arrêt Européen délivré par les autorités de poursuites suédoises sur la base d’accusations criminelles », alors que depuis cinq ans, « M. Assange n’a jamais été formellement poursuivi en Suède ».

Toujours aujourd’hui, « après que plus de cinq ans soient passés, il est toujours laissé avant-même l’étape de l’enquête préliminaire, avec aucune prévisibilité sur la tenue ou non d’un procès formel, et sur la date à laquelle une procédure judiciaire commencerait ».

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La violation du droit à un procès équitable

Depuis 2010 la Suède demande en effet à entendre le fondateur de Wikileaks après des accusations d’agressions sexuelles et de « viol » (avoir prétendument percé un préservatif lors d’une relation sexuelle), en partie prescrites. C’est à ce titre que le pays nordique a délivré un mandat d’arrêt qui, selon Assange, ne serait qu’une manipulation destinée à obtenir son retour en Suède avant un transfèrement vers les États-Unis, où l’attend un procès pour la diffusion de documents confidentiels.

Pour le groupe de travail, la Suède et la Grande-Bretagne n’ont pas fait les efforts nécessaires pour permettre l’audition de Julian Assange et donc l’éventuel classement sans suite de l’affaire. « M. Assange n’a pas bénéficié des garanties […] d’un procès équitable » pendant ces cinq années,

Il est « contraire au but et à l’efficacité de la justice, et aux intérêts des victimes concernées de mettre cette enquête dans un état de procrastination indéfinie », écrivent les experts.

Pour les experts de l’ONU, la situation de Julian Assage est « devenue à la fois excessive et non nécessaire »

Et peu importe si, formellement, la loi britannique est respectée. Le WGAD s’appuit sur les travaux du Comité des droits de l’homme de l’ONU, qui avait prévenu qu’une « arrestation ou une détention peut être autorisée par la législation interne et être néanmoins arbitraire ».

« L’adjectif «arbitraire» n’est pas synonyme de «contraire à la loi» mais doit recevoir une interprétation plus large, intégrant le caractère inapproprié, l’injustice, le manque de prévisibilité et le non-respect des garanties judiciaires, ainsi que les principes du caractère raisonnable, de la nécessité et de la proportionnalité », avait-il expliqué.

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Comme Tom Hanks dans le Terminal

Par ailleurs, il importe peu que Julian Assange se soit lui-même enfermé dans l’ambassade de l’Équateur à Londres pour échapper à son extradition, et que celle-ci ne soit pas un lieu officiel de détention comme peut l’être une prison ou un centre d’internement. Le simple fait d’avoir placé l’ambassade sous haute-surveillance et d’avoir prévenu qu’Assange serait arrêté dès le moment où il franchirait la porte suffit à en faire une prison de fait.

« Placer des individus en détention provisoire dans des gares, des ports et des aéroports ou n’importe quelles autres installations dans lesquelles elles restent sous surveillance constante peut non seulement être considéré comme des restrictions à la liberté individuelle de mouvement, mais aussi constituer de facto une privation de liberté », rappelle ainsi le WGAD.

Une situation incompatible avec la présomption d’innocence

Pour les experts de l’ONU, la situation de Julian Assage est « devenue à la fois excessive et non nécessaire ». Or elle est entretenue par la Grande-Bretagne et par la Suède, et « probablement va continuer indéfiniment », craignent-ils.

Enfin, le Groupe de travail estime que le la durée de la détention d’Assange est « ipso facto incompatible avec la présomption d’innocence », et que son impossibilité d’accéder aux établissements hospitaliers pour y faire réaliser des examens médicaux est aussi une violation de ses droits fondamentaux.

Et maintenant ?

En conclusion, le Groupe de travail demande à la Suède et à la Grande-Bretagne de « faire une évaluation de la situation de M. Assange, pour s’assurer de sa sécurité et de son intégrité physique, pour faciliter l’exercice de son droit à la liberté de mouvement d’une manière opportune, et pour s’assurer de sa jouissance pleine et entière de ses droits garantis par les normes internationales sur la détention ».

Dans un communiqué, le Haut-commissariat aux droits de l’homme de l’ONU affirme que l’avis du Groupe de travail est bel et bien de nature juridiquement contraignante, même si formellement il n’a pas les moyens de prononcer des sanctions et de les faire appliquer. Il rappelle que les textes violés, en particulier le PIDCP, sont des traités qui engagent leurs signataires, et que le WDAD dispose d’un mandat pour dire si les États respectent bien leurs engagements en matière de détention.

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Il rappelle aussi que la procédure est contradictoire, et que les états doivent respecter les avis formulés. De fait, incidemment, l’avis du WGAD indique que dans leurs réponses adressées aux experts, la Grande-Bretagne et la Suède ont « insisté sur le fait qu’il est important pour tous les pays d’agir en accord avec les standards internationaux des droits de l’homme, y compris leurs obligations issues des traités ». Or c’est justement le rôle du WGAD que de dire si ces obligations sont respectées.

Reste que la Grande-Bretagne a d’ores et déjà fait savoir qu’elle ne se plierait pas à l’avis du groupe de travail de l’ONU. La Suède elle-même n’a pas l’intention de lever son mandat d’arrêt.

C’est désormais une question politique à résoudre au sein de l’ONU, et il est dans les faits beaucoup plus difficile de sanctionner la Grande-Bretagne qu’un pays africain ou sud-américain, lorsqu’ils violent les droits de l’homme. Seule une pression médiatique relayée en interne en Grande-Bretagne permettrait, peut-être, d’obtenir la libération de Julian Assange.

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