Plus de 900 000 euros collectés en date du 3 juillet, et un montant qui continue de monter régulièrement, plus de trois jours après son lancement. Une cagnotte a été lancée en soutien de la famille du policier auteur du coup de feu mortel qui a tué Nahel lors d’une interpellation à Nanterre, le 27 juin dernier — un tir fatal qui a déclenché d’importantes émeutes en France.
Lancée sur GoFundMe par Jean Messiha, ex-porte-parole du candidat d’extrême droite Éric Zemmour lors de la campagne présidentielle de 2022, la cagnotte est, depuis ce week-end, au cœur d’une très vive controverse. Elle est perçue comme un soutien assumé à un meurtrier. « Soutien pour la famille du policier de Nanterre, qui a fait son travail et qui paie aujourd’hui le prix fort », peut-on lire. Le policer a été mis en examen par la justice, pour homicide volontaire.
« Clôturez ! »
Depuis ces dernières heures, les appels à mettre fin à cette cagnotte au plus vite. « Vous hébergez une cagnotte de la honte, GoFundMe. Vous entretenez une fracture déjà béante en participant au soutien d’un policier mis en examen pour homicide volontaire. Clôturez ! », a écrit par exemple Olivier Faure, le premier secrétaire du Parti socialiste. Des élus de gauche ont également formulé cet appel, tout comme de nombreux internautes sur Twitter.
En comparaison, la cagnotte ouverte en faveur de la mère de Nahel a dépassé les 160 000 euros.
En date du 3 juillet, la cagnotte pour le policier n’est pas fermée. GoFundMe, une entreprise américaine sise en Californie, a fait savoir à BFM TV que la cagnotte est, à ses yeux, « conforme ». Numerama a envoyé une demande de contact à la société, pour lui demander sa position sur le sujet. GoFundMe n’a pas encore répondu à l’heure de publication de cet article.
« Actuellement, cette cagnotte est conforme à nos conditions d’utilisation car les fonds seront versés directement à la famille en question. La famille a été ajoutée comme bénéficiaire et donc les fonds leur seront directement versés », a fait savoir un porte-parole de l’entreprise à nos confrères. La cagnotte restera donc en ligne.
Les conditions d’utilisation prévoient l’intervention de la plateforme pour « examiner tout contenu disponible, y compris, entre autres, les réseaux sociaux, les actualités connexes et toute autre information que nous jugeons utile d’examiner ». Cet examen peut porter sur la collecte de fonds, un utilisateur ou un contenu envoyé par un utilisateur.
GoFundMe donne des exemples « d’utilisation illicites ou interdits », liste qui n’est pas exhaustive. On y trouve pêle-mêle « la défense juridique des crimes violents présumés », des activités « inacceptables ou répréhensibles », des « cagnottes frauduleuses, trompeuses, inexactes, malhonnêtes ou impossibles » ou bien des infractions à la loi.
GoFundMe peut « supprimer toute collecte de fonds et/ou d’enquêter sur tout utilisateur » si une infraction aux conditions d’utilisation est constatée. Le site peut aussi suspendre, limiter ou bannir un utilisateur, « stopper les paiements à toute collecte de fonds, de geler ou de mettre en attente les dons », ou encore faire des signalements aux autorités.
Le caractère illicite de la cagnotte au regard des conditions d’utilisation de GoFundMe n’est pas évident, d’autant plus qu’elle n’est pas adressée au policier mis en examen, mais à sa famille, qui est étrangère aux faits reprochés. Elle est titrée « Soutien pour la famille du policier de Nanterre ». Cependant, la description de la cagnotte est aussi un appel à soutenir le policier lui-même.
Interrogé ce 3 juillet sur France Inter, le ministre de la Justice Éric Dupond-Moretti, qui a également rappelé que les personnes organisant des émeutes sur Snapchat seraient retrouvées, s’est montré prudent sur les leviers effectifs permettant de supprimer la cagnotte. Il a tout de même reconnu que ce n’est pas le genre d’initiative qui pousse à l’accalmie, et a aussi relevé une possible instrumentalisation politique, compte tenu du profil de la personne à l’origine de la cagnotte.
« Il y a un grand principe, c’est que chacun peut exprimer ses sentiments et participer à une cagnotte », a déclaré le garde des Sceaux. « Mais je ne pense pas que ça aille dans le sens de l’apaisement. Et puis j’ai une autre question en filigrane : l’initiative de cette cagnotte, c’est M. Messiha, et je me demande s’il n’y a pas derrière tout ça de l’instrumentalisation. »
Un précédent : le boxeur des Gilets Jaunes
Quant à la suppression, c’est à la justice de se prononcer, si jamais GoFundMe n’agit pas sous la pression des internautes, mais l’issue n’est pas certaine : « La justice est indépendante », a-t-il souligné. Une partie de la réponse se trouve dans les caractéristiques de la cagnotte : à qui s’adresse-t-elle précisément ? Un cas précédent peut éclairer.
Lors de la séquence des Gilets Jaunes, un homme rendu célèbre pour avoir donné des coups de poing à des membres des forces de l’ordre avait fait l’objet en 2019 d’une cagnotte de 145 000 euros. La plateforme, Leetchi, avait bloqué les fonds, tandis que l’homme a été condamné à un an de prison ferme. La justice avait donné raison ultérieurement à Leetchi, en annulant la cagnotte.
La cagnotte à l’époque visait à soutenir explicitement le boxeur. Dans son verdict, le tribunal judiciaire de Paris a relevé que la cagnotte était de facto un soutien à des violences contre les forces de l’ordre. Elle contenait aussi « un appel à compenser les condamnations susceptibles d’intervenir à l’avenir, ce qui est contraire à l’ordre public. »
En attendant une éventuelle intervention de la justice, qui viendrait renverser la position de GoFundMe, mais dont l’issue n’est pas certaine, ce sont des internautes qui se mobilisent : on voit apparaître un mouvement de signalement de masse pour dénoncer la cagnotte auprès du site. D’autres appellent à boycotter le service purement et simplement.
(mise à jour avec la réaction de GoFundMe)
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